Entre poème et prose, Dominique Panier crée sous feinte d’ “aberrations” une poétique qui ne l’est en rien et refuse autant le déceptif que la faconde. C’est de la classe pure, sans fard et sans posture. Le tout de manière feutrée, sans y toucher, là où se croise l’ancien et nouveau, le légendaire et l’intime en une région de l’Est de la Pologne peuplée autant de princesses, vierges et saintes que de héros mythiques et de brutes.
Chaque anecdote devient une légende propice à l’émotion, Nous pouvons parler de poésie pure chère à Henri Brémond, là où le moindre détail, où la scène la plus banale se transforme en vibration que le titre de l’ouvrage n’évoque que partiellement. Tout reste mystérieux et prégnant là où les présences restent intouchables, assez éloignées et perdues dans le plan des textes qui les évoque de manière latente, aussi naturaliste que distanciée.
Cette stratégie ne sert plus d’exutoire ou de refuge. Trop souvent en effet le mystère dérobe, recouvre. Il est du motif, du leurre. Il n’ouvre pas, il ferme. C’est un piège du regard ou de lecture. Pagnier sait comment ce piège fonctionne. Il le refuse tout en sachant en détrôner les “trucs” par effet de narration décalée.
D’où les questions majeures que pose l’écriture. Qu’ouvre-t-elle quand un poète s’en empare, c’est-à-dire l’agrandit, la renverse ? Quelle sidération est proposée ? Pagnier opte non pour un dégagement mais un plongeon dans le mystère des temps qui offre un champ bien plus fort que celui dans lequel on le réduit.
Et la femme de Botticelli qui sort de l’eau répond : les femmes — celles que le poète évoque près des fleuves et les lacs glacés sous la brume des grandes plaines.
jean-paul gavard-perret
Dominique Pagnier, Aberrations chromatiques, Gallimard, coll. Blanche, Paris, 2018.