L’écriture de cette nouvelle a débuté en août 1934. Cela fait deux ans et demi que Robert E. Howard met en scène son barbare. Mais il souhaite écrire autre chose. Dans une lettre, il déclare : “…j’ai laissé de côté les décors exotiques de villes perdues, de civilisations décadentes et pourrissantes, de coupoles dorées, de palais de marbre…“
Cette nouvelle détonne de la production première par le ton et par la trame. L’auteur écrit un récit résolument anticolonialiste. Si l’on compare la situation réelle des indiens d’Amérique et celle des Pictes de la fiction, on constate nombre d’analogies. C’est la Conquête de l’Ouest dans un décor emprunté au cœur du Canada. Ce texte est plus proche du western, avec ce fort qui défend les colons installés sur les terres conquises aux Pictes. Ces derniers ont été refoulés derrière la fameuse rivière et bloqués par l’océan, une sorte de réserve comme les Blancs ont pu en créer pour les natifs sur le territoire des États-Unis.
Dans la province de Conajohara, au cœur d’une forêt profonde, Balthus progresse tous ses sens en alerte. C’est pourtant son instinct qui lui fait éviter la flèche. Réfugié derrière un tronc, il se prépare à combattre quand un guerrier l’enjoint à sortir. Il n’y a plus de danger, il a tué le Picte. Il se présente comme Conan et lui explique, pendant qu’ils font route vers le fort de Tuscelan, qu’il n’est qu’un mercenaire payé pour patrouiller le long de la rivière noire. Un cri les alerte et ils trouvent le cadavre d’un homme décapité. Conan connaît le coupable. Il s’agit d’un démon envoyé par Zogar Sag, un sorcier. Celui-ci, ayant volé des mules d’un marchand, a été rattrapé et mis en cellule. Pour lui, c’est la pire insulte et il se venge en tuant ceux qui l’ont arrêté.
Au fort, le commandant, qui ne peut recevoir aucun renfort, le roi et ses conseillers restant sourds à ses demandes, s’inquiète de la situation, des incursions de plus fréquentes des Pictes. Il veut que Conan aille au-delà de la rivière pour tuer Zogar Sag qui n’est encore qu’un petit chaman énervé. Balthus se porte volontaire pour l’accompagner avec une douzaine d’hommes…
Dans ce récit, le romancier évite soigneusement les héroïnes vêtues de seuls voiles arachnéens, de vêtements peinant à tenter de dissimuler leur féminité. Et Conan, lui-même n’est pas porteur de ce magnifique caleçon en cuir et fourrure. Les auteurs de la BD l’ont habillé à la façon des trappeurs, des coureurs de forêt.
Cette histoire, qui se transforme en parabole sur la barbarie et la civilisation, se termine par une conclusion très noire et désabusée.
C’est une mise en images grandiose réussie par Anthony Jean, un créateur en pleine maîtrise de son art et de son talent. Avec des successions de cases horizontales, ou verticales, il restitue le ton et l’atmosphère du récit. S’il réussit les personnages, donnant de vraies gueules aux intervenants, il signe des décors de forêts, de fort de toute beauté. Même si le scénario avait été insipide, mais c’est loin d’être le cas, cet album est à posséder pour son graphisme.
Un cahier de seize pages, proposant une postface de Patrice Louinet, quelques recherches de Jean et cinq hommages à Conan, est inclus dans la première édition.
Un bel album tant pour une histoire qui se démarque des habituelles prestations du barbare que pour la mise en images somptueuse.
serge perraud
Mathieu Gabella (scénario d’après l’œuvre de Robert Ervin Howard) & Anthony Jean (dessin et couleur), Conan le Cimmérien : Au-delà de la rivière noire, Glénat, coll. Grafica, septembre 2018, 64 p. – 14,95 €.