Mary MacLane issue d’une ville minière du Montana (Butte) a connu la maladie de l’écriture très tôt. Elle est d’abord la rédactrice du journal de son école, puis à 18 ans, publie son premier livre, Que le diable m’emporte. Cette confession qui date de 1902 est un véritable ovni littéraire : sous formes de confession impie, l’auteure y exprime ses fantasmes et des idées scandaleuses pour son époque — voire pour la nôtre. Egocentrique, drôle, féministe avant la lettre, outrancière, sulfureuse elle scande une forme de révolte organique qui échappe à tout modèle.
Face au mutisme et aux mélasses de l’époque, elle impose ses « singeries » tonitruantes dans un corpus de lave des enfers. Tout est rage là où la créatrice mâche la carie des songeries, dans ses vases d’extase où l’imprécation ouvre des voies d’eau et où une voix fait jaillir une vision du dedans. Pas n’importe laquelle : celle qui macule le monde tel qu’il est ; et ça rue à chaque page.
Mobile, immobile, immobile, mobile la créatrice secoue le monde en une succession de monstruosités. Mac Lane s’y enroule et s’y déploie comme suspendue au-dessus du vide. A elle la nuit ou le clair de terre. Plus que jamais, la littérature ouvre au grand vent qui libère ce qui « enfemme » celles qui à l’époque furent prises pour des infâmes. L’écriture se débonde dans une sorte d’esprit moins dada que punk avant la lettre. Tout vole de haut en bas, de bas en haut. C’est l’enfer bien sûr mais tout autant un paradis littéraire qu’ignore les Saints et dieu leur re-père.
L’auteure se moque de ce qui fit la pomme d’Adam ou la croix du Christ. Elle a mieux à faire. Le flot imprécatoire rebat les cartes. La terre n’est plus dans l’éther, l’auteure en soulève les miasmes dans un cri de révolte et de colère. Elle s’y noiera mais elle n’eut jamais peur des vagues. Mieux : elle les souleva.
jean-paul gavard-perret
Mary Mac Lane, Que le Diable m’emporte, trad. de l’anglo-américain par Hélène Frappat, Editions Du Sous-Sol, Paris, 2018, 160 p. –16,00 €.