On ne saurait toujours gagner à vouloir forcer son destin
Dans un décor kitch, aux murs unis couleur crème, avec des palmiers grossièrement dessinés, des chimpanzés tournent autour d’un canapé rudimentaire, recouvert d’une peau de léopard. Des bardes en costumes et sous-vêtements entonnent des cantates baroques sur un air d’improvisation. Une passerelle — qui se fait aussi podium, lieu de défilés — installée au milieu des sièges d’orchestre permet aux comédiens de faire leur entrée au fond de la salle et de traverser en les surplombant les spectateurs.
Le souverain des lieux, le duc Orsino, se languit d’amour et se morfond aux sons d’un ténor et d’un théorbe. Il dirige, détaché, avec emphase et quelque excentricité, sa cour. Il est réduit à n’être que la proie d’un amour désespéré : il se consacre à moult stratagèmes pour séduire la belle Olivia, laquelle porte le deuil pour éviter les séducteurs importuns. Le prélude se termine par un étrange ballet émaillé d’éclairs figurant un orage. Les frasques du bouffon et de son acolyte composent un show où les boutades et les grivoiseries sont l’occasion de ridiculiser l’institution.
On assiste à une histoire abracadabrante qu’on ne saurait prendre au sérieux. Shakespeare l’a écrite pour le carnaval. Les personnages secondaires prennent la main de cette reconstitution d’amours improbables. Une comédie échevelée, menée de main de maître tant dans la direction d’acteurs que dans l’occupation de l’espace et l’adresse au public. La représentation est légère, enlevée, paillarde tout en restant cohérente, fluide et pondérée dans ses excès. Elle se tient en un bel équilibre, lequel vient nous rappeler que l’obscène se loge bien souvent davantage dans l’œil du regardeur que dans les conduites des individus.
Les allusions bouffonnes à l’actualité passent bien, elles nous ramènent au rapport avec les spectateurs que Shakespeare voulait pour son théâtre. Thomas Ostermeier réussit à dynamiter le propos de la pièce. À terme, après moult facéties, une scène d’échanges de baisers cristallise l’intensité du propos. Lorsque les masques tombent, le décor s’ouvre sur les coulisses et l’on découvre Malvino victime de la maudite corde. Rappel qu’on ne saurait toujours gagner à vouloir forcer son destin, bien que le jeu en ait valu la chandelle pour Viola - un peu comme la rançon du plaisir partagé, l’autre face de l’effusion présentée. Jubilatoire.
manon pouliot & christophe giolito
La nuit des rois ou Tout ce que vous voulez
de William Shakespeare
Adaptation et mise en scène Thomas Ostermeier
Avec Denis Podalydès, Laurent Stocker, Stéphane Varupenne, Adeline d’Hermy, Georgia Scalliet, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Anna Cervinka Christophe Montenez, Julien Frison Yoann Gasiorowski, et Paul-Antoine Bénos-Djian*, Paul Figuier* contre-ténor Clément Latour*, Damien Pouvreau* théorbe * en alternance.
Traduction Olivier Cadiot (P.o.l., 2018) ; Scénographie et costumes Nina Wetzel ; Lumière Marie-Christine Soma ; Musiques originales et direction musicale Nils Ostendorf ; Dramaturgie et assistanat à la mise en scène Elisa Leroy ; Conseil à la dramaturgie Christian Longchamp ; Travail chorégraphique Glysleïn Lefever ; Réglage des combats Jérôme Westholm ; Collaboration à la scénographie et aux costumes Charlotte Spichalsky.
A la Comédie Française, Salle Richelieu, en alternance du 22 septembre 2018 au 28 février 2019. Durée du spectacle 2h45 environ.
Nouvelle production. Plan de salle spécifique. Attention : certaines scènes de ce spectacle sont susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes.
Au cinéma
Diffusion Pathé Live le 14 février 2019 à 20h15, reprises les 3, 4 et 5 mars 2019.
Avec le mécénat de Grant Thornton.
Une adaptation de haut-vol de Thomas Ostermeier, j’ai pris beaucoup de plaisir à redécouvrir cette oeuvre.