Itinéraire d’un enfant du jazz et surtout de la peinture
A qui ne connait pas l’oeuvre de Cauda il pourra être utile de commencer ce livre presque vers la fin. Là où Murielle Compère-Demarcy prend la parole (quoique imprenable) du peintre pour le script d’un film en son hommage. Le tout en un transport en commun et amoureux (arrêt Pyrénées, Bagnolet). Se découvre d’abord les murs de l’atelier de celui qui se fit appeler Jacques au nom du Fataliste.
Il est vrai que Cauda et Diderot partagent le même goût pour le peinture. L’Encyclopédique en parla, le cyclopède s’en empare. Ce qu’il aime chez elle, c’est que c’est plat : quoi donc de mieux pour multiplier les seins, les cuisses grasses et les popotins ? Car si certains ont la bosse de maths, l’exécuteur possède le sens des géométries féminines dans l’espace.
Le dernier livre du créateur prolixe en violences enjouées devient un énième élixir. Et le titre dit tout. Il “dit” le mot clé de l’homme et l’oeuvre : “Peindre”. Sinon quoi d’autres? Et l’artiste fait le tour de la question non en laïus absconds mais parfois en forme de védas récapitulatoires (p. 38–40 par exemple).
Parfois encore il agit en technicien de surface. Il précise comment — ayant posé sa Dame, nue forcément, à même l’amour et sur le sol -, pour peindre sa blessure ouverte, il propose en prélude un cours in situ sur les pigments qu’il choisit et leurs origines. La garance vient des régions chaudes et tempérées, le lapis-lazuli et autre pyrite de Vérone où siégèrent les amants. Quant aux terres de Sienne qu’il fait sienne, elles peuvent aller aux grandes chartreuses de Parme plutôt qu’à la grande sartreuse de l’homme aux mains sales.
Comme toujours Cauda propose un étrange voyage où l’absolu et le salace font cause commune chez celui qui transforme les cartes du Tendre en brelan d’as dans des tripots douteux. Mais halte aux jeux de hasard. Il s’agit de peindre, de jour comme de nuit. De préférence sur “le vendre ouvert” de son modèle qu’il poudre de blanc : il “mange ses yeux/ dans l’assiette” qu’il a peinte le matin.
Cauda n’a dont rien d’un ascète anglais, il sait que, lorsque la femme est tirée il ne faut pas se contenter de boire mais l’étendre sur la toile avant de recommencer le lendemain matin. Un réveil parfait rend la femme légère — quoique encore les paupières closes — et le loustic épouse les feulements de sa louve pour “rendre les traits d’existence montée en joie” sur une matrice agitée des mouvements de pinceau et afin de dévorer ce qui se cache dedans.
Le moderato cantabile devient sur la toile - et lorsque bat “le coeur dans la sueur” — une danse perverse avec le noir dense et le rouge sang . Cela a un nom : c’est l’existence. Manière de reprendre, en Vasco de Gama des arts, ce que l’homme de Lascaux entama. Rien d’autre donc, sinon quoi ? Ah oui : l’écrire. Dont acte. L’œil du cyclope, une fois de plus, a accompli son travail.
jean-paul gavard-perret
Jacques Cauda, Peindre, Editions Tarmac, Nancy, 2018, 72 p. — 14,00 €.