David Lachapelle et les stéréotypes avalants
David Lachapelle ne cesse de s’interroger sur les tensions qui surgissent entre l’autorité de l’œuvre et la nécessaire modestie du travail. Les deux - et surtout et ironiquement la première - sont d’ailleurs très palpables chez celui qui se veut autant archiviste et historien que créateur. Mais qu’on soit précis : archiviste d’une Histoire qui n’existe pas ou qu’il s’agit de travestir. D’autant qu’avec Letter to the World, il en remet une couche côté dimension iconoclaste.
Son propos se veut à rebours des entreprises artistiques « autistes » qui se désintéressent avec désinvolture et arrogance de la situation où l’humanité se trouve prise. Mais il prolonge son propos en interrogeant les tensions inhérentes aux Reines, Saintes et autres figures virginales de nos contrées. Tel un nouveau Dante, il circule dans nos sous-mondes et ceux de nos inconscients à travers des figures emblématiques détournées et trafiquées.
La signification de l’œuvre d’art — et plus particulièrement du chef-d’œuvre — devient soudain celle d’un anti-monument. A savoir non pas une stèle qui viendrait célébrer une histoire définitive mais le lieu qui doit être perpétuellement parcouru dans toutes les directions afin qu’aucune histoire ne puisse jamais donner l’impression de s’y trouver achevée.
La question de la valeur inestimable et inépuisable du chef-d’œuvre est donc reconsidérée plus dans son « pour autrui » (d’où le titre de l’expo) que son en soi. Le chef-d’œuvre en tant que calme bloc de cristal se brise et migre vers des considérations critiques, documentaires, politiques et surtout ironique.
Lachappelle remet en cause la notion d’ artiste souverain au profit d’une citoyenneté critique et mondialiste. Chez lui, la vraisemblance, la ressemblance ne doivent jamais avoir le dernier mot. Et à travers la question centrale « Que faire avec une œuvre ? », le créateur prouve qu’il existe entre elle et son temps une multitude de temps imbriqués. La première doit donc déplacer le second selon divers types d’artères et de rhizomes qui remontent au passé.
jean-paul gavard-perret
Lachapelle, Letter to the world, exposition, Templon, Paris (28 rue du Grenier St Lazare), du 3 novembre au 29 décembre 2018.