Bastien Vivès, Le Chemisier

Avec un simple vêtement…

Séve­rine Armand, étu­diante en lettres modernes, vit en couple avec Tho­mas. Celui-ci, fan de séries télé et de jeux de rôles, n’est pas très empressé auprès d’elle. Elle fait du baby-sitting chez les Mar­guet. Un soir, Eva, la petite fille qu’elle garde tombe malade. Le père est ren­tré plus tôt que prévu après une dis­pute avec son épouse. Eva, qui souffre d’une indi­ges­tion, vomit sur son lit, écla­bous­sant les vête­ments de Séve­rine. Mar­guet net­toie les dégâts et, devant l’état des vête­ments de Séve­rine, lui donne un che­mi­sier de son épouse. Il s’agit d’une pièce magni­fique en soie. Elle pro­pose de le rap­por­ter très vite.
Le len­de­main, pour sou­te­nir un oral, elle décide de mettre le che­mi­sier. Elle passe brillam­ment l’épreuve. Elle qui pas­sait inaper­çue, ainsi vêtue, est remar­quée. On l’aborde, on lui adresse la parole. Elle trouve, avec ce vête­ment, une confiance qui lui man­quait. Elle décide de vivre plus libre­ment, de sor­tir de l’ombre…

L’adage popu­laire pro­fesse que : “L’habit ne fait pas le moine.” Bas­tien Vivès prend le contre-pied de cette maxime et sou­haite démon­trer qu’une per­son­na­lité nou­velle peut émer­ger d’une nou­velle parure, être la consé­quence du port d’un nou­veau vête­ment qui donne confiance, assu­rance. Il faut par­fois peu de choses pour qu’une vie bas­cule, pour que le che­min qui sem­blait tracé bifurque vers d’autres hori­zons.
L’auteur donne à ce che­mi­sier une sorte d’aura magique. Tant qu’elle le porte, la nou­velle per­son­na­lité de Séve­rine éclate, lorsqu’elle le quitte, elle rede­vient la Séve­rine terne d’avant. Elle s’en rend compte et décide de le gar­der le plus sou­vent pos­sible, même pour faire l’amour avec des amants.

Au-delà, Bas­tien Vivès aborde le thème du regard : regar­der et être regar­der. S’il fait dire à un per­son­nage que celui-ci aime regar­der les femmes (comme l’avoue tout récem­ment un homme poli­tique de pre­mier plan), être regar­dée relève d’une autre sen­sa­tion pour une femme. Si l’on peut pen­ser que celle-ci est flat­tée d’être le point de mire, son accep­ta­tion dépend du type de regard, de la manière.
Son héroïne mène alors son exis­tence avec une cer­taine désin­vol­ture. Avec la révé­la­tion de son nou­veau moi, du pou­voir qu’elle peut avoir sur les autres, elle part en déshé­rence, vivant l’instant. Des types sont prêts à la défendre quand elle se fait insul­ter, son pro­fes­seur ne pense plus qu’à elle depuis son oral, un flic ren­con­tré par hasard va l’accompagner…

Le des­sin épuré de Bas­tien Vivès, presque mini­ma­liste, moins fourni que la ligne claire avec une mise en blanc, en gris, en noir, impose au regard des endroits pré­cis, foca­li­sant sur un élé­ment de la vignette, sur une expres­sion, une atti­tude. C’est avec un simple point qu’il fait pas­ser les sen­ti­ments dans le regard de ses per­son­nages.
Le Che­mi­sier, ce superbe roman gra­phique, inter­pelle et donne à re-concevoir cer­taines idées sur des per­sonnes que l’on croise sans leur prê­ter attention.

serge per­raud

Bas­tien Vivès, Le Che­mi­sier, Cas­ter­man, sep­tembre 2018, 208 p. – 20,00 €.

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