Suzanne Doppelt, Rien à cette magie

Irisa­tions et phosphorescences

Aban­don­nant la phi­lo­so­phie, Suzanne Dop­pelt s’est tour­née vers les images : la pho­to­gra­phie et la pein­ture. Les deux demeurent pré­sentes ici, asso­ciées à la lit­té­ra­ture et la poé­sie. L’artiste cherche tou­jours ce qui manque à une image mais tout autant ce qu’elle cache au sein de ses reprises comme le fit Char­din qui en deux ans pei­gnit trois fois « Les Bulles de savon » en des ver­sions proches où un jeune homme s’amuse à faire des bulles sous l’œil curieux d’un enfant à moi­tié dans l’ombre.
Suzanne Dop­pelt les révise et « découpe » afin de créer une mosaïque poé­tique en une suite de textes plus ou moins courts. Plus que d’illustrer les tableaux, ils les accom­pagnent. Cette “asso­cia­tion” joue à la fois à faire appa­raître, à rendre plus net tout en éloi­gnant le sens. Les textes et les pho­to­gra­phies sont comme des lap­sus des pein­tures et per­mettent de créer : “un petit théâtre d’ombres et de marion­nettes, un éton­nant dis­po­si­tif poé­tique et pho­to­gra­phique pour ten­ter d’accompagner la construc­tion de ce tableau”.

L’auteure ne s’embête pas dans des his­toires d’objectivité même si çà et là des bribes d’analyse pointent. Tout ici est fugi­tif et aérien comme l’enfance qui demeure, en sous-texte, omni­pré­sente. L’artiste s’amuse à brouiller ou com­plé­ter les tableaux à tra­vers celui de ces bulles sens des­sous– des­sus là où ne se quitte l’informe que pour y retour­ner tels des fan­tômes bor­dés de lumière..
Ils vont à la pein­ture de Char­din comme un gant à l’univers au sein d’une traque et des chausse-trappes d’une poé­tesse pour laquelle les choses se ren­voient les unes les autres. Les bulles créent une alchi­mie aussi proche qu’étrange. Les fan­tômes sont là, mais lorsqu’ils deviennent savon­neux tout se met à trem­bler, à perdre com­plè­te­ment réalité.

De ras­su­rant, cela devient inquié­tant, dérai­son­nable alors qu’à l’origine la rai­son était maî­tresse de céré­mo­nie. La créa­trice pour­suit, en ren­voyant à l’enfance de la conscience, à un che­mi­ne­ment incons­cient qui touche au fami­lier, au pro­saïque comme au somp­tueux et au sublime.
A l’irisation de la bulle répond l’écriture dif­frac­tée : en réci­pro­cité, l’une ajoute une dimen­sion magique à l’autre.

jean-paul gavard-perret

Suzanne Dop­pelt, Rien à cette magie, P.O.L édi­teur, Paris, 2018, 80 p. — 13,00 €.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>