Thomas Gilbert, Les Filles de Salem

L’obs­cu­ran­tisme et le fana­tisme religieux…

Abigail Hobbs a qua­torze ans et habite Salem vil­lage, une bour­gade rurale. Elle par­ti­cipe aux tâches ména­gères, s’occupe de la cor­vée d’eau et aime se pro­me­ner dans la forêt. En route pour la rivière, elle est rat­tra­pée par Peter qui lui offre, en sou­ve­nir de leur enfance, le petit âne en bois qu’il a sculpté. Ravie, elle accepte le cadeau. Ce geste va déclen­cher une suc­ces­sion d’événements. Elle passe de l’enfance à l’âge adulte, de fille elle devient femme enfer­mée dans un car­can de conven­tions.
Dans la forêt, elle a vu l’Homme en noir, un indien. Ils se sont regar­dés et il a dis­paru. Il occupe ses pen­sées. Elle fait part de ce secret à Betty, sa meilleure amie, la fille du révé­rend du vil­lage, éle­vée par Tituba, leur esclave. Un secret n’est jamais gardé et elles sont plu­sieurs à rejoindre, en se cachant, les indiens. Elles dansent au son d’une flûte. Mais leur réunion, sur­prise, est rap­por­tée avec exa­gé­ra­tion.
Le pas­teur a des pro­blèmes d’argent. Il consi­dère que les habi­tants de Salem forment un mau­vais trou­peau. Ils veulent être sau­vés sans en payer le prix. Il voit là l’occasion de ren­for­cer son emprise sur la com­mu­nauté. Peu à peu, sous son impul­sion, des témoi­gnages de plus en plus hor­ri­fiques se mul­ti­plient. Une bat­tue, un meurtre, et tout dégé­nère. La peur et la haine s’installent. C’est l’hystérie col­lec­tive qui s’installe appuyée sur la sor­cel­le­rie, la pos­ses­sion démoniaque…

Le récit de Tho­mas Gil­bert se fonde sur les faits authen­tiques entrés dans l’Histoire sous le nom des Sor­cières de Salem, faits qui se sont dérou­lés dans le Mas­sa­chu­setts au début des années 1690 (l’on songe aussi à La lettre écar­late de Natha­niel Haw­thorne). À l’origine de ce drame de la bêtise, de l’ignorance, du fana­tisme pseudo-religieux, ce sont les crises d’hystérie de deux jeunes filles, sug­ges­tion­nées sans doute par des his­toires racon­tées par Tituba, l’esclave du révé­rend Samuel Par­ris. Résul­tat : plus de cent cin­quante arres­ta­tions, dix-neuf pen­dai­sons, trois morts en prison…

L’auteur prend Abi­gail comme nar­ra­trice. C’est à tra­vers elle que passe toute l’histoire depuis le petit cadeau jusqu’à sa pen­dai­son. Elle raconte le sort des femmes, leur enfer­me­ment dans un car­can de puri­ta­nisme, leur vie étri­quée alors que ces jeunes per­sonnes rêvent de joies, de liberté. Elle décrit le poids des croyances qui pèsent sur la com­mu­nauté, des croyances plus ou moins folles nour­ries par les prêches apo­ca­lyp­tiques du révérend.

Mais l’auteur va plus loin et donne la rai­son pro­fonde de toute cette folie dic­tée par le puri­ta­nisme de ces mil­liers de reli­gieux qui prônent l’idée selon laquelle l’acte sexuel est répré­hen­sible, qui le pra­tiquent eux-mêmes dans des condi­tions dégra­dantes, se cachant avec, sans doute, un sen­ti­ment de culpa­bi­lité. Pour­tant cet acte, lorsqu’il est par­tagé dans un amour réci­proque des deux par­te­naires, est si beau. La vraie dépra­va­tion n’est-elle pas le refus du plai­sir, de l’accord entre deux corps, entre deux êtres ?
Avec un des­sin syn­thé­tique cen­tré sur les per­son­nages, sur leurs expres­sions, sur leurs émo­tions, presque sans décors, avec une mise en cou­leurs de plus en plus sombre, Tho­mas Gil­bert livre une his­toire dure, ter­rible. Elle est d’autant plus effrayante que celle-ci n’est, hélas !, pas res­tée que dans l’Histoire ancienne. Elle se repro­duit quo­ti­dien­ne­ment avec une approche, des démons dif­fé­rents. Il faut recon­naître aux reli­gieux une ima­gi­na­tion débor­dante quand il s’agit de bri­mer les femmes.

Sous-titré Com­ment nous avons condamné nos enfants , cet album choc est une réussite.

serge per­raud

Tho­mas Gil­bert, Les Filles de Salem, Dar­gaud, sep­tembre 2018, 200 p. — 22,00 €.

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