Guido Ceronetti, Petit enfer de Turin

Turin ville ouverte

Stupé­fiante est l’indifférence de l’édition fran­çaise dans son ensemble pour un pen­seur, écri­vain, tra­duc­teur et artiste dont l’œuvre est sans doute mal adap­tée aux tiroirs du ran­ge­ment idéo­lo­gique et aux canons de la dis­trac­tion cultu­relle : Guido Cero­netti. Jour­na­liste, homme de théâtre, poète et marion­net­tiste, son éru­di­tion est redou­table et sa mémoire ignore les trous.
Col­la­bo­ra­teur régu­lier à « La Stampa ‚» il créa en 1970 le  “Tea­tro dei Sen­si­bili” pour mon­ter avec son épouse des spec­tacles d’appartement. Fel­lini et Paso­lini furent les spec­ta­teurs de ses  « marion­nettes idéo­phores ». Il n’a cessé de pro­duire dans une tra­di­tion qui puise sa force dans une tra­di­tion grecque, romaine et biblique : une  cri­tique vio­lente de la société de masse dont ce beau livre est un par­fait exemple.

A tra­vers cette évo­ca­tion de Turin, le lec­teur hexa­go­nal va à la ren­contre d’un contem­po­rain que Cio­ran avait élu au pre­mier rang de ses admi­ra­tions. Cero­netti décrit non seule­ment une ville qui n’existe plus mais qui s’enrichit de mythes qui mélangent les temps, de la Fiat aux plaies d’Egypte, aux boxeurs ita­liens d’hier et d’avant-hier aux héros latins.
A tra­vers le por­tait de son père, des réflexions sur le ter­ro­risme après l’assassinat par les Bri­gades Rouges d’un de ses amis de la Stampa, une visite en com­pa­gnie du maire dans un cam­pe­ment Tzi­gane ou dans un  hos­pice, une réflexion sur le Saint Suaire « volé » à Cham­béry , l’auteur peint un Turin sans âme ou tout au moins mutilé et qui contient d’aphasiques fantômes

Ceux qui ont connu la ville telle qu’elle fut encore juste après la Seconde Guerre Mon­diale retrou­ve­ront la pesan­teur et la grâce, la misère de cer­tains quar­tiers qui par­fois sem­blait rendre laides les Turi­noises : Pié­mon­taises pure souche ou venues du Sud et per­dues dans une ville qui crou­pis­sait encore dans une éco­no­mie fra­gile.
Il y avait là bien des dif­fé­rences sociales. Elles se per­ce­vaient à mesure que le visi­teur tra­ver­sait les quar­tiers. En pié­ton de Turin, Cero­netti ne cache rien de la force et la fai­blesse jusqu’à en tirer une psy­cho­lo­gie de la ville. Cer­tains occupent l’espace, d’autres s’y cachent. La ville est alors bru­tale et cynique mais l’auteur ne se limite pas à une lit­té­ra­ture locale. Il nous entraîne sous son regard et ses pen­sées dans ce qui est, déjà, les pré­mices  d’une méga­lo­pole où tout se mêle.

jean-paul gavard-perret

Guido Cero­netti,  Petit enfer de Turin, Edi­tions Fario, Paris, 2018.

1 Comment

Filed under En d'autres temps / En marge, Poésie

One Response to Guido Ceronetti, Petit enfer de Turin

  1. Anne

    je pense illico à Fré­dé­ric Pajak “L’immense soli­tude” avec F. Nietzsche et Cesare Pavese orphe­lins sous le ciel de Turin. Les magni­fiques des­sins de Pajak et les textes rap­pro­chant le phi­lo­sophe et l’écrivain ins­pi­rés par Turin. mais tu dois connaitre ce livre.

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