Face aux amoureux omnivores et restant dans l’intersexuation assurée par une grand-mère LGBT, la narratrice d’Arcadie veut se sentir fille tout en se faisant appeler jeune homme ou monsieur en jeans, short et basket. En attendant et dans sa “liberty house”, elle investit le coeur du genre avec sa playlist discutable.
Farah (c’est son nom) vit ainsi parce que sa mère est électro-centriste en ce lieu et communauté idyllique et pastorale où chacun fait l’amour avec tout le monde. Un homme (Arcadie), laid mais charismatique gourou initiateur, devient l’amant de cette Farah sans fossettes. Tout se déroule en paix jusqu’à l’arrivée d’un migrant.
Le lecteur pourrait craindre le pire mais l’irruption ne fait que corroborer des problèmes qui étaient là avant. Ce petit monde mixé est décrit avec grâce là où Farah semble libre dans ses mouvements et ses “déviances”. Le migrant devient de fait non un intrus mais un visiteur qui n’entraîne pas la folie mais une voie médiane. L’intersexuation, la migration, le handicap donnent paradoxalement une lourdeur nécessaire contre l’inattendu.
L’écriture est assez déroutante pas son amplitude bucolique et des dialogues triviaux où le monde s’interprète dans une liberté de pensée à travers et par exemple la question du genre. Existe toujours une fantaisie certes moins choquante (qu’on se rassure…) que chez un Tony Duvert par exemple.
Pointe malgré tout un appel à la révolution de la jouissance. Si bien que ce livre à idées se transforme en texte à élan – même si le développement du temps est peu présent en dépit des flash-back. Cette transfiguration de l’existant reste de l’ordre de la parabole et du discours certes subtil mais en tant que pétition de principe attendu. Elle appelle néanmoins au franchissement des frontières initié par Michaux et Musil (entre autres) salués en fin d’ouvrage.
jean-paul gavard-perret
Emmanuelle Bayamack-Tam, Arcadie, P.O.L éditeur, 2018, 448 p. — 19,00 €.