Paul Teng (dessin) / Cristina Cuadra & Rudi Miel (scénario), L’Ordre impair — Tome 2 : “Séville 1600″

La suite atten­due d’Anvers 1585, sorti il y a tout juste un an. Une régu­la­rité de bon aloi pour une série de qualité.


Impair…et passe !

Comme dans le pre­mier volume, on entre dans le récit à la fin du XVIe siècle, à Anvers. Leo­nora, qui a repris l’imprimerie de son père et a vu sur­gir, en l’espace d’une nuit, un cin­quante et unième exem­plaire d’un manus­crit qu’elle a hérité de sa mère — Visio Veri­ta­tis — est pour­sui­vie par les hommes du bourg­mestre et s’enfuit vers Séville, d’où sa mère était ori­gi­naire. Quant à Patrick Prada, il est encore sous le choc de la mort tra­gique de sa femme, Vir­gi­nia. Un deuil d’autant plus dif­fi­cile à vivre que Vir­gi­nia est soup­çon­née d’avoir pro­vo­qué une crise diplo­ma­tique majeure en fal­si­fiant un docu­ment issu de la Sûreté d’État, per­met­tant ainsi l’exportation vers l’Inde de maté­riel nucléaire. Alors que Patrick est confronté à une demande d’autopsie du corps de Vir­gi­nia de la part de l’inspecteur chargé de l’enquête, il est contacté par un cer­tain Delus­sine, ama­teur de livres anciens, qui se dit déten­teur d’informations capi­tales à pro­pos du mys­té­rieux ouvrage acquis par Vir­gi­nia peu avant sa mort. 

Repo­sant sur le même prin­cipe nar­ra­tif que l’album pré­cé­dent, “Séville 1600″ déve­loppe en alter­nance trois récits : l’un se situant à la char­nière des XVIe et XVIIe siècles, le second à l’aube du XIVe siècle et le der­nier à l’époque contem­po­raine. C’est celle-ci qui occupe, dans cet album, la plus large part de l’espace nar­ra­tif mais le paral­lé­lisme avec le siècle de Leo­nora se pré­cise : à la fuite de la jeune femme vers Séville répond, à quelque trois cents ans de là, le voyage qu’effectue Patrick dans cette même ville sur le conseil de Delus­sine. Séville semble devoir s’imposer comme pôle cru­cial… Mais c’est tout de même à Arras que se forge le tout pre­mier chaî­non de la longue trans­mis­sion qui va mener Visio Veri­ta­tis de la plume de Mech­tilde au XXIe siècle : le temps d’une brève incur­sion en 1314 — tout juste trois planches — l’on y voit Jeanne, la fille de Mech­tilde, récu­pé­rer le fameux livre que sa mère avait caché avec soin avant d’être brû­lée vive…

La mise en case s’est assa­gie — plus de per­son­nage hors cadre cre­vant la page pour s’élancer vers le lec­teur — les plon­gées et contre-plongées ver­ti­gi­neuses ont pour ainsi dire dis­paru et les cadrages auda­cieu­se­ment par­cel­laires se sont raré­fiés. En contre­par­tie, le récit se com­plexi­fie consi­dé­ra­ble­ment. Et l’on notera tout de même que, si l’image conti­nue de pri­mer sur le texte, dia­logues et didas­ca­lies s’étoffent quelque peu dans ce tome où les déve­lop­pe­ments de la crise diplo­ma­tique qui couve entre l’Inde, le Pakis­tan et la Bel­gique néces­sitent des pré­ci­sions que l’image à elle seule ne peut dispenser.

Toujours aussi expres­sif, le des­sin de Paul Teng s’accommode fort bien cet assa­gis­se­ment tant l’introduction de nou­veaux per­son­nages et la den­si­fi­ca­tion des zones d’ombre de l’histoire suf­fisent à rendre la lec­ture déli­cate. Delus­sine, qui livre à Patrick des infor­ma­tions déci­sives au sujet du livre de Mech­tilde, l’inspecteur Huys­mans chargé de l’enquête sur la mort de Vir­gi­nia, Paula la bar­maid sévil­lane qui lâche à Patrick cette phrase cli­ché j’ai l’impression de te connaître depuis tou­jours — sans oublier la ser­vante mexi­caine Mar­cela qui croise la route de Leo­nora… Quant à la crise pro­vo­quée par l’exportation de maté­riel nucléaire, atti­sée encore par l’action de groupes ter­ro­ristes, on n’en peut sai­sir les méca­nismes et les impli­ca­tions qu’au prix d’une atten­tion sou­te­nue. Il y a ainsi de trop nom­breux élé­ments qui requièrent toute la vigi­lance du lec­teur, des points de détails qui, infimes en appa­rence, paraissent déter­mi­nants — et s’il y avait eu autant de belles expé­ri­men­ta­tions gra­phiques que dans le pre­mier tome, il y a fort à parier que l’on n’aurait guère eu la dis­po­ni­bi­lité d’esprit requise pour les goû­ter à leur juste valeur. 

Dans ce second volet se pour­suit une sorte de phase d’exposition : quelques pièces majeures viennent s’ajouter au puzzle que le pre­mier tome com­men­çait de com­po­ser, mais sans que leur empla­ce­ment exact soit encore per­cep­tible. Le mys­tère s’épaissit, de nou­velles ques­tions tou­jours plus intri­gantes sur­gissent… Avant de se plon­ger dans la lec­ture de “Séville 1600″, on aura tout inté­rêt à relire “Anvers 1585″ his­toire de bien se remettre en mémoire le nom de cha­cun des per­son­nages, les rela­tions qu’ils ont les uns avec les autres, leurs gestes, leurs paroles — sans quoi il est impos­sible de per­ce­voir conve­na­ble­ment les fines arti­cu­la­tions du scé­na­rio. Si le pre­mier tome lais­sait encore craindre une intrigue bana­le­ment malé­fique assise sur un vieux gri­moire, ce deuxième album emporte une adhé­sion sans réserve. L’Ordre impair semble bien devoir dépas­ser fort hono­ra­ble­ment les cli­chés rebat­tus du genre…

isa­belle roche

   
 

Paul Teng (des­sin) / Cris­tina Cua­dra & Rudi Miel (scé­na­rio), L’Ordre impair — Tome 2 : “Séville 1600″, Le Lom­bard “Polyp­tique”, février 2005, 48 p. — 13,00 €.

Leave a Comment

Filed under Bande dessinée, Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>