Claude Minière par fragments crée une ode en prose pour l’oeuvre méconnue de Melville : “On découvre les choses une à une, jour après jour, par beau temps calme ou dans les tempêtes, traçant une ligne sur une éternité plissée”. L’auteur rappelle combien le discret maître vieux de deux siècles est celui qui nous parle autant par son côté sombre que lumineux et toujours poétique.
Marin écrivant, auteur secret il reste si singulier que — et sans l’occulter vraiment — la critique le rate, ne retenant de lui qu’un texte majeur. Certes, il y eut Moby Dick. Mais il y a aussi Billy Budd, Pierre ou les ambigüités, Les Contes de la Véranda, Mardi. Chaque texte de l’auteur possède son mystère, ses propres vibrations et son ampleur.
Ses “divertissements” sont de fait résolument pascaliens et Minière en souligne, comme sans y toucher, l’importance. De telles textes pétrissent la vie plus que ne le font la raison et la connaissance intellectuelle. Le déclencheur de chaque texte peut partir d’une simple anecdote mais Melville en fit des fables qui ne peuvent qu’interroger ceux que nous sommes et qui chaque jour comprennent que le monde va droit dans le mur.
Minière qui se revendique comme anti-moderne reste néanmoins — et son livre le prouve — un “chercheur” moraliste. Mais non dans la lignée « officielle » des auteurs du genre. Il veut nous rappeler que Melville semble passer trop loin de nous mais qu’il reste à notre portée et que nous sommes embarqués dans sa “brouette” même si, entre Melville et lui, comme nous, les chemins de vie sont divers, les temps sont différents.
jean-paul gavard-perret
Claude Minière, Encore cent ans pour Melville, Gallimard, coll. L’Infini, Paris, 2018, 112 p. — 11, 50 €.