Perrine Le Querrec déstabilise les schémas de la représentation poétique. Sa manière de casser les normes thématiques a comme racine littéraire “spirituelle” ou plutôt corporelle un “pilier“inattendu : “À la question «Quel écrivain vous a influencé ?», je répondrais sans hésiter : Francis Bacon. S’il n’est pas écrivain, il a toujours été une source essentielle d’inspiration et un guide”. Comme son modèle le fit en peinture, la poétesse invente un langage. Celui du corps, de l’incarnation et d’une incantation éruptive et déplacée. Dans ce travail, comme souvent chez l’auteure, le document et l’archive sont importants. A l’amoncellement célèbre dans l’atelier du peintre répond celui d’un amoureux de Bacon qui accumulait ces archives, portraits, objets.
Perrine Le Querrec fait pénétrer ses propres émotions en un tel périple initiatique :“Voyage nocturne commencé tamisé au bar où tu t’enivres avant de reprendre la route — c’est le petit matin — de l’atelier du 7 Reece Mews, au troisième palier pousser la porte, franchir le mystère des lisières s’engouffrer. Exil de l’abattoir. Au sol des milliers des élevages des réserves d’images. Photographies journaux documents –détritus. Au sol jonché un monde foulé un monde dilaté. ”
L’archive et l’image, leur étude, leur manipulation et au-delà le langage suggèrent comment se marient cannibalisme et passion, mort et désir. Chez la poétesse et son modèle, les modes de représentation explosent en faisant sourdre des vieilles images et documents — non des avortons mais des monstres. Le démantèlement des images mortes (celles de l’amour courtois) crée la transfiguration du montré et la restitution en art comme en poésie de l’action où le corps joue.
Dévorant, les corps de Le Querrec et de Bacon offrent en conséquence des danses macabres bien au-delà d’un érotisme à la Picasso. Les deux sont plus proches de Dali et de Bataille, puisqu’il s’agit de rentre visible le corps inconscient qui doit parfois passer par la mort pour aller à la jouissance.
A lire ce superbe texte (et les autres de l’auteure), le lecteur comprend comment Bacon crée chaque fois un autoportrait diffracté du peintre dévorant. La poétesse ne pouvait que l’éprouver. Il s’agissait pour elle et en conséquence de montrer le corps dans le vif, dans son mouvement. Le corps est port d’angoisse, point de capiton, viande cosmique éclatée.
C’est pourquoi l’un ne peint pas des natures mortes mais des natures voraces. Quant à son insolente complice, elle fait le pari de la chair contre l’idée. Que demander de plus à la littérature ? Les deux, dans leur cannibalisme, n’exhibent pas la chair mais sa mastication.
jean-paul gavard-perret
Perrine Le Querrec, Bacon le cannibale, Editions Hippocampe, Lyon, 2018, 80 p. — 15,00 €.
Addenda . JPGP ne confond pas Perrine et son pot au lait ! Rouge c’est Rouge . Ecrivaine et critique fusionnent dans l’esprit un brin débrayé et la chair déchiquetée .
BRILLANTISSIME .