Radoslaw Pujan : le regard et son double. Entretien avec le photographe

Rados­law Pujan est le maître du double jeu ou de la double par­ti­tion. Il se com­porte en véri­table com­po­si­teur — mais du silence. Avec lui l’image n’est jamais simple. Elle se dis­tri­bue en secondes et en tierces : d’un côté le voyeu­risme est mis à mal, de l’autre il est impli­ci­te­ment orches­tré. Existe tout un jeu de miroirs que l’artiste ne cesse d’affiner. Plus il avance, plus son oeuvre est aussi clas­sieuse qu’ironique. L’acte pho­to­gra­phique est autant pour lui un acte public qu’intime et secret.
Plu­tôt que de cou­rir après le temps perdu (même si l’artiste a un pen­chant pour lui), il s’agit de rete­nir ce « temps à l’état pur » cher à Proust. Pujan garde en lui le goût pour la tra­jec­toire même si, comme tout grand créa­teur, il refait tou­jours la même image. Et après tout, c’est bien là le réel sens de la notion de tra­jec­toire. Il est d’ailleurs pos­sible que, dans un tel cadre, le recours au nu soit capi­tal puisque tout y est affaire de courbes et lumière et que, para­doxa­le­ment, ce thème touche à l’indicible, au rite plus qu’à la pré­hen­sion et au tapage.

www.radoslawpujan.com

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon épouse.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’en ai réa­lisé quelques uns. J’en ai inventé des nou­veaux. Cer­tains ont dis­paru. Dans tous les cas je rêve, j’imagine et je vis dans les songes que je crée. Et fina­le­ment je m’arrange tou­jours pour que cer­tains atteignent leur but.

A quoi avez-vous renoncé ?
Humm… Ques­tion dif­fi­cile. C’est tou­jours une ques­tion de choix. Cepen­dant je suis opti­miste… Ce à quoi je renonce, je le rem­place très vite par un autre scé­na­rio que j’estime meilleur. Et je me convainc moi-même que le che­min que j’ai choisi est le bon. C’est une atti­tude par­ti­cu­lière mais elle rend la vie plus facile.

D’où venez-vous ?
De Pologne. Quand j’étais enfant c’était tou­jours un pays socialiste/communiste. A cette époque, il n’y avait rien et les gens devaient faire oeuvre de plus d’imagination. Pour inven­ter des jeux et des théâtres. Je crois que cela est tou­jours resté en moi. Et même si je sais que nous vivons dans un monde où désor­mais tout est acces­sible, je rêve tou­jours. Je pense que j’ai grandi avec ça.

Quelle est la pre­mière image dont vous vous sou­ve­nez ?
C’est trop loin main­te­nant. De toute façon, les sou­ve­nirs changent. Chaque nou­veau sou­ve­nir apporte une modi­fi­ca­tion des anciens. Je pense que cela pour­rait être le prin­temps dans mon vil­lage. Loin dans les prai­ries grasses et les arbres.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Le Sei­gneur des anneaux”.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Je ne veux pas m’appeler artiste. Je conti­nue à ne pas com­prendre ce mot. Mais pour répondre à votre ques­tion, hummm vous avez peut-être noté que je suis un peu voyeur. J’aime tou­jours les por­traits de femmes, ce qui dans l’art d’aujourd’hui dis­pa­raît. Cela fait un peu vieux style. Ou peut-être que je retourne vers une époque où les femmes étaient fémi­nines, belles au moment où la mode ne chan­geait pas si vite.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le chocolat.

Où travaillez-vous et com­ment ?
Je tra­vaille à Bruxelles et dans son uni­vers. La pho­to­gra­phie est une manière de me rap­pro­cher des gens. C’est ce que je fais si sou­vent. Si bien que je peux dire que je pra­tique deux dif­fé­rents métiers à la fois.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Oh, à per­sonne. Si j’ai besoin de contac­ter quelqu’un je le fais tout de suite. Je ne reçois pas tou­jours une réponse… Mais c’est une autre histoire.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Chet Baker, Cho­pin, de l’Ambient, de la House, Van­ge­lis, Parov Ste­lar… Cela dépend de mon état d’esprit.

Quels livres aimez-vous relire ?
Tous ceux de Jacek Dukaj, mon auteur de S.F. pré­féré. Cepen­dant ‚ses meilleurs livres ne sont pas encore traduits.

Quand vous vous regar­dez dans votre miroir qui voyez-vous ?
Récem­ment je com­mence à me voir dif­fé­rem­ment. A savoir, comme un homme qui devient vieux. C’est le moment de faire quelque chose de bon avant qu’il soit trop tard. Faire de la meilleure qua­lité et me concen­trer bien plus sur une seule idée. Jouir aussi de la vie. Voya­ger plus. Chaque fois que je me regarde dans un miroir j’éprouve une des ces idées.

Quel lieu a valeur de mythe pour vous ?
J’ai visité quelques villes magiques. Quelque chose de magique que je ne peux expri­mer. Cra­co­vie, Prague, Torun Bar­ce­lone, Mar­ra­kech, Varanassi.

De quels artistes vous sentez-vous le plus proche ?
Hel­mut New­ton, Irwing Penn, Ellen von Unverth, Edward Hop­per, Rem­brandt, Lempicka.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Oh je pleure devant tant de films. Même les contes de fée.

Que voudriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un accès annuel à une grande et belle mai­son avec jar­din et véranda où je pour­rais aller quelques fois et réa­li­ser mes idées de pho­tos. Et appré­cier la beauté natu­rel d’un tel lieu.

Que pensez-vous de la phrase de Lacan: “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
L’amour pos­sède de mul­tiples défi­ni­tions, cela dépend des pers­pec­tives. Celle de Lacan recèle trop de néga­tions or je suis opti­miste. Je me sens plus proche de la défi­ni­tion de l’amour par Pla­ton — mais je pense que cela ferait l’objet d’une plus large dis­cus­sion. Pour moi, l’amour c’est don­ner tout ce qu’on a sans rien deman­der en retour.

Et celle de W. Allen “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je le fais très sou­vent… Lorsque je suis dans mon monde ima­gi­naire. Puis je rede­mande qu’on me repose la ques­tion. Et par­fois une fois encore.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Mon film favori. “La Grande Bellezza”

Pré­sen­ta­tion, entre­tien et tra­duc­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 14 octobre 2018

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