Poppy Z. Brite, Plastic Jesus

Plas­tic Jesus est l’une des pre­mières esca­pades de Poppy Z. Brite vers un uni­vers sans réfé­rence à l’horreur

Help ! J’entends pas les Beatles…

C’est peut-être dom­mage, mais en lisant Plas­tic Jesus, la longue nou­velle de Poppy Z. Brite récem­ment publiée au Diable Vau­vert, mon ima­gi­na­tion m’a embar­quée sur un autre rythme, pour une autre des­ti­na­tion musi­cale. Si ça se trouve, c’est sim­ple­ment parce que je n’ai jamais été vrai­ment fan des Beatles, mais les per­son­nages créés par Poppy ne m’évoquent pas les quatre gar­çons jadis dans le vent. Cela dit, ce n’est pas for­cé­ment très grave ! Il s’agit plus là d’un pré­texte, un mes­sage des­tiné à agi­ter les idées reçues, un texte pro­vo­ca­teur sou­tenu par le style unique de Poppy Z. Brite, que d’une bio­gra­phie pure et dure. Je ne mets pas en cause le tra­vail de docu­men­ta­tion effec­tué pour Plas­tic Jesus, je suis consciente de la fas­ci­na­tion déclen­chée chez l’auteur par la mort de John Len­non alors qu’elle avait treize ans. J’arrive même à ima­gi­ner une jeune hip­pie nom­mée Poppy por­tant petites lunettes rondes, por­trait de Len­non tatoué sur l’épaule, trim­bal­lant des bras­sées d’albums des Beatles.

Paper­back wri­ter

Il se peut qu’à mes yeux, les per­son­nages qui peuplent l’univers de l’égérie de la lit­té­ra­ture under­ground amé­ri­caine se doivent d’être plus mor­bides, déca­dents, d’explorer les limites de la per­ver­sion. Ce qui ne colle pas du tout avec mon image des Beatles, une Beat­le­ma­nia de des­sin animé à la Yel­low Sub­ma­rine, dont les héros appa­raissent presque asexués… Impres­sion for­cé­ment sté­réo­ty­pée je l’admets, puisque je ne m’étais encore jamais pas­sion­née pour leur his­toire. Poppy ne peut que les connaître bien mieux que moi, et l’intérêt de sa vision sub­jec­tive dépasse de loin la mienne. Voilà pour­quoi c’est elle qui écrit et je me contente de la lire !

Pour le fun, essayez de recons­truire votre musi­cien hybride à par­tir des asso­cia­tions musi­cales ou visuelles que vous retien­drez du récit. Mon Seth Grealy per­son­nel se démonte comme suit : quelque chose des spi­rales men­tales de Syd Bar­rett, l’énergie des­troy de Stiv Bator, une déca­dence bla­sée qui rap­pelle Michael Hut­chence, une dégaine glam-rock sor­tie tout droit de Vel­vet Gold­mine

Dessine-moi un Lennon…

Plas­tic Jesus mérite toute votre atten­tion : il s’agit d’une des pre­mières esca­pades de Poppy Z. Brite vers un uni­vers sans réfé­rence à l’horreur. Son pro­chain roman sur la Nouvelle-Orléans sera plus proche de La Conju­ra­tion des Imbé­ciles que d’ Entre­tiens avec un Vam­pire, encore un peu de patience avant le plai­sir de la suivre dans cette direc­tion qui sera, c’est plus qu’une intui­tion, inté­res­sante. Aujourd’hui, Poppy aborde l’art et la manière de chan­ger les men­ta­li­tés en pro­fon­deur, raconte une his­toire d’amour entre deux des hommes les plus célèbres de la pla­nète, retrace et s’approprie la genèse du pre­mier groupe à révo­lu­tion­ner les esprits de toute une géné­ra­tion. Et que choisit-elle de com­mettre ? L’impensable pour cer­tains puristes Beat­le­so­philes, on peut comp­ter sur Z. Brite pour dévoyer les garçons !

Ob-La-Di, Ob-La-Da, vous avez rai­son, il serait temps de péné­trer dans le récit. Tout com­mence par la fin, c’est à dire l’assassinat de Seth Grealy (numé­ro­logues, vous avez remar­qué des simi­li­tudes avec John Len­non, non ?), co-fondateur des Kydds, sacri­fié sur les marches du Dakota Buil­ding à New York, et qui aban­donne ainsi son par­te­naire et amant Pey­ton Mas­ters. Effon­dré, Pey­ton prend contact avec le psy­chiatre de Seth, et s’enfonce dans ses sou­ve­nirs, un magi­cal mys­tery tour, depuis les gamins années 50 jusqu’aux idoles pla­né­taires qui chan­gèrent le monde. Se révèlent ainsi les fra­gi­li­tés, les abus, les ten­sions et l’humour des lea­ders du groupe, mais sur­tout l’inspiration et l’énergie insen­sées qui condui­saient des hordes de gamines à l’orgasme au moindre de leurs concerts. « Les hommes ne savent pas, mais les petites filles com­prennent. » aurait conclu leur manager.

Ima­gine quand même !

En la sui­vant dans ce rêve tordu, on se prend à espé­rer qu’en effet, la société aurait été meilleure si John et Paul avaient été amants. L’exemple d’un coming-out aussi média­tique dans les années 60 aurait peut-être « injecté dans le monde une dose ultra-forte de tolé­rance » comme elle le dit si bien. L’édition du Diable Vau­vert offre aussi quatre bonus non négli­geables : tout d’abord, des des­sins ori­gi­naux, crayon­nés avec spon­ta­néité par Poppy Z. Brite illus­trent la nou­velle. Visages expres­sifs, situa­tions détaillées, petit tableau des canaux d’Amsterdam sous un ciel tour­noyant à la Van Gogh… Plas­tic Jesus est enca­dré par deux courts essais, « Le feriez-vous ? » (pre­mier texte écrit sur ce sujet, paru dans le recueil Cou­pable du même édi­teur), et « Oui, je le ferais. », qui pré­cisent encore le fan­tasme à l’origine de cette longue nou­velle. Enfin, une inter­view de l’auteur clô­ture le livre, vous y trou­ve­rez quelques perles, par exemple un mor­ceau écrit par Poppy pour un ex, qui sonne vrai­ment plus comme Babes in Toy­land que comme All you need is love.

stig legrand

Poppy Z. Brite, Plas­tic Jesus (tra­duit par Vir­gi­nie Des­pentes), Au Diable Vau­vert, 2002, 158 p. 

Leave a Comment

Filed under Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>