De Grand Jacques aux Marquises…
Jacques Brel disait qu’il racontait sa vie dans ses chansons, qu’elles étaient son journal de bord. Il y a quarante ans, le 9 octobre 1978, disparaissait ce géant de la chanson. Pour marquer cette date, les Éditions Hugo publient une superbe plaquette présentant les grands moments de la vie du poète à partir de 40 chansons, sur les 169 écrites, retenues parmi les plus emblématiques. Elles sont resituées dans leur contexte historique, biographique et musical, éclairant l’existence de de l’auteur par nombre d’anecdotes relatives tant à leur conception, leur mise en œuvre et leur contenu.
Le choix, s’il a été difficile, s’avère judicieux car on retrouve les textes qui ont marqué des étapes de la vie du chanteur. De Grand Jacques en 1954 aux Marquises en 1977, on passe d’années en années avec Le dernier repas, La valse à mille temps, Ces gens-là, Jacky… Pour chacune, les biographes reviennent sur les raisons de leur écriture, les illustrent avec des extraits d’interview de l’auteur, quelques vers et confidences, des réflexions de proches ou de vedettes de la chanson.
On apprend, par exemple, qu’il n’appréciait pas Amsterdam dont il jugeait la forme trop primaire. Il la dévoile le 15 octobre 1964 à Versailles en troisième place de son tour de chant. Et le public s’enthousiasme. Jacques Brel ne comprend pas l’engouement de la salle. Le lendemain à l’Olympia où il passe pour cinq semaines, il la met en ouverture, la place de la chanson sacrifiée. Mais c’est une nouvelle ovation. Cependant, il n’aimera jamais son texte. Elle ne sera d’ailleurs jamais enregistrée en studio. La seule version est celle qui fut captée sur scène. Une autre, Mathilde, lui demanda trois ans d’écriture.
La célèbre grosse Adrienne de Montalant, des Bourgeois, a bien existé. Cette dame tenait un café populaire et avait pour véritable patronyme Adrienne de Mont-à-Leux. Pour la concordance des rimes il modifia.
L’amitié particulière, un rien ambiguë, sans doute teintée de sentiments amoureux, a toujours été forte avec Monique Serf, connue sous le nom de Barbara. Elle lui rendra visite à l’hôpital trois jours avant son décès. Ses débuts furent difficiles. Il se produisait, pour des cachets minables, dans des cabarets de la Rive Gauche. Un critique de France-Soir avait écrit : “Jacques Brel, il existe de bons trains pour retourner à Bruxelles.” Ce qui lui a fait dire, d’un air désabusé, face au tsunami de protestations lorsqu’il a annoncé sa volonté de stopper le tour de chant : “On ne voulait pas que je commence. Maintenait on ne veut pas que j’arrête.“
François Mitterrand, alors secrétaire général du Parti socialiste a écrit : “Brel est un écrivain. Brel est un poète. On peut publier ce qu’il a écrit et cela figurera dans les anthologies de poésie moderne.” Preuve de sa générosité : il donne tous les droits sur La Fanette à Isabelle Aubret qui avait enregistré la chanson peu de temps avant son terrible accident automobile.
Ces 40 textes rappellent les thèmes les plus récurrents chez Brel et permettent de redécouvrir ce qu’était cet homme mort à 49 ans, qui n’a eu d’autre quête que la recherche d’une permanente intensité et de vivre ses passions. Mais Brel n’était pas qu’un auteur et un compositeur majeur. Il fut, sans aucune exception, le plus grand interprète de ses chansons.
Une iconographie remarquable complète ces textes concoctés par Bruno Brel, son neveu, par Stéphane Loisy, directeur de collection et par Baptiste Vignol, auteur d’ouvrages sur la musique.
Jacques Brel en 40 chansons est une superbe compilation qui éclaire davantage ce Géant irremplaçable.
serge perraud
Jacques Brel en 40 chansons, Bruno Brel, Stéphane Loisy & Baptiste Vignol, Éditions Hugo, coll. Image, septembre 2018,1 format 23 x 29, 60 p. – 19,95 €.