Jean Van Hamme & Christophe Simon, Kivu

Quand la BD se fait témoin et dénonce 

Avant d’attaquer un vil­lage un gradé donne des ordres à une troupe com­po­site : “Les femmes et les gamines, vio­lées et muti­lées devant leur famille. Les hommes à par­tir de 12 ans fait pri­son­niers. Les mains cou­pées pour ceux qui résistent. Les bébés et les vieillards, brû­lés dans leur cahute, morts ou vifs.” Jéré­mie et Vio­lette bien que pêchant hors du vil­lage sont rat­tra­pés par des assaillants. Alors que le chef va la vio­ler, son frère le tue avec une baïon­nette qui était aban­don­née.
Parce qu’il s’ennuie dans son poste, au dépar­te­ment mar­ke­ting de la Meta­lurco, Fran­çois Daans, un jeune ingé­nieur, est chargé d’une mis­sion sur le ter­rain. Il part au Kivu pour trou­ver un rem­pla­çant au direc­teur de pro­duc­tion, le colo­nel Ernest Malumba, décédé il y a deux jours dans l’exercice de ses fonc­tions. À Bakavu, la capi­tale, Fran­çois est accueilli par Peter de Bruyne, un ancien mer­ce­naire qui tra­vaille pour la Meta­lurco. Celui-ci lui décrit la situa­tion locale et répond à l’interrogation de Fran­çois quant au sort du pré­cé­dent direc­teur : “Sodo­misé par une baïon­nette rouillée res­sor­tie par le nom­bril. Le genre de mort qu’il réser­vait d’habitude à ses vic­times.” En se ren­dant à l’hôtel, ils ren­versent une gamine. Fran­çois veut faire soi­gner sa bles­sure à la cuisse et l’emmène dans un lieu de soins. Il est très sur­pris, quelques heures plus tard, quand on lui annonce que la gamine qu’il a fait soi­gner est, ins­tal­lée par l’infirmier du dis­pen­saire, dans le petit salon de sa suite. Celui-ci explique que c’est le seul endroit où elle sera en sécu­rité. Vio­lette, mise en confiance, raconte ce qu’elle a vécu. Le jeune ingé­nieur est alors pris dans un tour­billon de vio­lences et doit batailler dur pour ten­ter de sau­ver les deux enfants…

Jean Van Hamme signe, avec ce scé­na­rio, un récit dan­tesque, d’autant plus effrayant, qu’il s’appuie sur une ignoble réa­lité. Avec Kivu, il raconte l’enfer, les exac­tions subies par les habi­tants de ce haut pla­teau, une région agri­cole de la Répu­blique démo­cra­tique du Congo, limi­trophe du Rwanda. Ce ter­ri­toire est riche en mine­rais pré­cieux qui per­mettent de réa­li­ser le Col­tran, un alliage qui s’utilise dans de nom­breux domaines aujourd’hui “essen­tiels” tels que les réac­teurs d’avion, les implants den­taires, les télé­phones por­tables, smart­phones.… Cette richesse est convoi­tée par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda qui sou­tiennent rébel­lion et milices depuis plus de vingt ans.
Le scé­na­riste a eu connais­sance par hasard de cet alliage. Il a fouillé pour connaître la façon dont sont extraits les com­po­sants, les réseaux com­mer­ciaux, et il estime qu’il raconte la vérité d’une manière rela­ti­ve­ment douce. Il met en scène tous les inter­ve­nants des filières depuis les habi­tants ter­ro­ri­sés, muti­lés, les membres de l’armée et du gou­ver­ne­ment cor­rom­pus et la manière dont sont struc­tu­rés les che­mins emprun­tés par les mine­rais pour abou­tir sur nos appa­reils de com­mu­ni­ca­tion ou dans les bouches occidentales.

Van Hamme intègre des per­son­nages authen­tiques tels Guy-Bernard Cadière et sur­tout le Dr Muk­wege de l’hôpital de Panzi, cet homme qui répare les femmes muti­lées par les viols et les tor­tures. Celui-ci estime que cette bande des­si­née aura un impact impor­tant dans la mesure où elle informe, où elle dénonce une situa­tion trop dis­si­mu­lée. Il pense qu’il faut libé­rer la parole, que les femmes, par leur silence, pro­tègent leurs bour­reaux. Coïn­ci­dence ? Déjà honoré par de nom­breux prix et récom­penses, n’est-il pas le Congo­lais le plus récom­pensé :  il vient de rece­voir le Prix Nobel de la Paix 2018.
Chris­tophe Simon, qui s’est rendu sur les lieux, offre un des­sin réa­liste, d’une grande pré­ci­sion, avec une mise en page dyna­mique et des expres­sions d’une grande véra­cité. Il signe un remar­quable tra­vail gra­phique qui rehausse, hélas !, ces hor­reurs mais qui exalte éga­le­ment de beaux moments. Le récit est com­plété par une pré­face de Colette Brae­ck­man, jour­na­liste au Soir et par une page de pho­tos prises par Chris­tophe Simon.

Kivu est un album coup de poing, une his­toire où se côtoient l’horreur la plus sombre et l’émergence de situa­tions sen­ti­men­tales et huma­nistes. Un grand bravo aux auteurs et à l’éditeur pour avoir fait et publié ce témoignage.

serge per­raud

Jean Van Hamme (scé­na­rio) & Chris­tophe Simon (des­sin et cou­leurs), Kivu, Édi­tions Le Lom­bard, coll. “Signé”, sep­tembre 2018, 72 p. – 14,99 €.

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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