Travaillant avec le je dans un texte intime et organique, Doa change de genre, passant de la guerre à des territoires encore plus “gore”. Entre Berlin, Praque et une Venise (de type « Bruges la morte), le héros chirurgien marié à une avocate est soudain défiguré suite à une brûlure profonde du visage. Il devient le loup des univers BDSM (Bondage, Domination, Sadisme et Masochisme) qu’il hante la nuit pour offrir ses services et anciens talents de chirurgien.
Il existe un côté nervalien (“Aurélia”), baudelairien (“Une Charogne”) et romantique noir dans ce huis clos, là où des logiques se croisent voire explosent si bien que les héros sont tirés vers le bas dans des lieux misérables et en ruines, décors de fantasmes oppressifs. Ce roman devient un conte au sens caché là où la versions du mythe de Lykaia que l’auteur retient est celui du sacrifice de l’homme mangé pour la passion des autres qu’il ne laisse pas intacts.
A la différence des écrits masses qui précèdent ce livre et qui étaient écrasés de documentations, ici tout progresse vers un allègement. Il était nécessaire. L’auteur explore des jeux dangereux de marge et une intimité particulière où est interrogé un pourquoi qui restera volontairement sans réponse comme l’existence d’un héros habillé de latex et revêtu d’un postiche de loup (typique du BDSM) dont il ne se sépare presque plus.
L’auteur explore des lieux secrets de l’Europe où les êtres en dépit de leurs pratiques ne sont pas plus anormaux que les autres voire plus ouverts d’esprit, même si certains, à l’intérêt sexuel, préfèrent le business. Ces personnages se livrent à des pratiques extrêmes (parfois filmées) en des gradations d’intensités différentes. Elles peuvent confiner à l’agonie dans une pulsion de mort mais aussi de transformation radicale lorsque le bondage est remplacé par des atrophies du corps en diverses amputations.
La réflexion quant au consentement de ceux qui veulent toujours aller plus loin passe dans le livre du monde « vanille » à des expériences extrêmes comme celle du groupe « Dormenta » dont les membres acceptent de consentir à ne pas consentir. Ce qui va plus loin dans l’attaque non seulement des corps mais de la psychologie.
Berlin, Prague, Venise changent de vision. Des personnages souvent simplement numérotés jouxtent le couple principal. Celui-ci ramène vers un roman noir où il n’y a pas d’issue pour les amants en dérive et auto-sacrifiés. Mais les injections, les insertions profanes fascinent celles et ceux qui s’y livrent et dont le loup se « repaît » là où le mal est déplacé dans « la nef marbrée de l’abdomen » des victimes expiatoires.
Le livre se veut une conjuration de la peur. Existe néanmoins une certaine complaisance dans cette vision du rapport dominant/dominé où les rôles sont parfois inversés . Tout n’est pas encore dominé chez Doa. La langue erre encore dans des confins où la clarté reste parfois trop évidente et parfois pas assez trouble.
Demeure un aspect plus documentaire que vécu. Toutefois, un univers interlope s’ouvre au lecteur dans cette « passion triste » entre clichés et vérités. Les premiers prennent le pas sur les secondes dans ce cœur des ténèbres sans que soit donnée une clé vers le ciel qui aurait permis un espoir à cette vacation dans l’horreur.
jean-paul gavard-perret
Doa, Lykaia, Gallimard, Hors série Littérature, Gallimard, Paris, 2018.