Entretien avec le jumeau de Perceval : Francis Carpentier poète — et vanneur à ses heures (Douanes)

Poète à thé arrosé, Fran­cis Car­pen­tier remonte ce qui est tombé sous le sens. Les occis morts deviennent des Saint Lazare. Ils échappent à la Pythie et ses pitoyables appeaux longs. A chaque page et quoique cyprès des cime­tières, le néant fuit et jouit en rosace à tra­vers l’émeaux des can­nés pro­vi­soires. Noyant le pois­son, carpe en entier, le poète fré­tille et fait que tous les décé­dés se trouvent reje­tés sur le tapis des vaches. Si bien que même aphone l’auteur reste le faune d’un après-midi d’avoir été. Il mène sa barque en

sor­tant nos âmes (et ce qui les entoure) de la mélasse ou de leur bloc de glaces en la recou­vrant de Mort Subite ou de Champagne.

Brève notice de pré­sen­ta­tion par F Car­pen­tier :
On entend sou­vent dire que la poé­sie contem­po­raine joue avec les mots.
Et si elle jouait aussi avec les formes ?
Si elle jouait avec le mètre en fai­sant rebon­dir les rimes ?
Si elle fai­sait dan­ser les pieds ? C’est le pari de Douanes, publié en sep­tembre 2018 aux édi­tions Henry dans la col­lec­tion “la main aux poètes”.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’odeur du café frais et le chant de l’aventure.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?

Ils courent tou­jours, et moi der­rière eux, qui m’accroche à leur queue-leu-leu, brin­gue­balé à droite et à gauche.

A quoi avez-vous renoncé ?

A la res­pec­ta­bi­lité satis­faite et au super­flu suf­fi­sant.

D’où venez-vous ?

Je suis né en Flandre fran­çaise, d’une haute lignée d’anonymes qui remonte au fond des âges, dont je dirais, en citant Rim­baud que : “J’y suis, j’y suis tou­jours”.
En effet, à la fois vaga­bond et manant, je fus tour à tour le cin­quième frère Aymon dans les Ardennes, le neveu de Robert le Diable au Pays de Caux, le jumeau de Per­ce­val sur les bords du Rhin, et le fils de dame Car­cas au pied de la Mon­tagne Noire. En ce moment je cou­sine à la fron­tière de l’Anjou et du Poi­tou avec un capi­taine caro­lin­gien du nom de Guido Ful­ge­rosa et le célèbre Jacques du Fouilloux, poète & veneur de la Gâtine, tout en effec­tuant de fré­quentes visites à mes amis Yvar Ch’Vavar, Lucien Suel et Chris­tian Edziré Déquesnes dans la grande Picar­die men­tale.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une cer­taine dose d’imagination, je sup­pose, tein­tée d’un soup­çon de logique et de bon sens, juste ce qu’il faut pour ne pas s’enfermer dans le confort des certitudes.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Un petit déjeu­ner solide au soleil levant, et se sen­tir d’attaque.

Com­ment définiriez-vous votre approche de la poé­sie ?
On se jette dans une poé­sie qui raconte, une poé­sie qui bouge, une poé­sie qui emporte, une poé­sie qui ouvre sur on ne sait jamais trop quoi… Quel­que­fois ça res­semble à un pré­ci­pice, on a un peu peur mais on va voir quand même…
Alors, on joue avec les mots, qu’ils soient chics ou vul­gaires, et avec les formes, qu’elles soient “clas­siques” ou “libres”; on les tord, on les malaxe, on les mélange, on les dis­joint, on les dépèce, on les désosse, on les hache, on les secoue en jetant ce qu’il en sort sur le papier…
Quand on est enfin satis­fait du poème, il devient urgent de s’en débar­ras­ser afin de le sous­traire à la fer­men­ta­tion per­pé­tuelle qui s’empare des œuvres inabou­ties et d’échapper aux désa­gré­ments qu’elle entraîne pour leur auteur. Pour ce faire, on le pro­pose à des revues et à des édi­teurs, on le par­tage sur Inter­net, on le lit d’une voix forte sur la scène slam (par frag­ments bien sûr, s’il s’agit d’une épo­pée, car à chaque fois on ne dis­pose que de trois minutes…) et pour­quoi pas, si l’occasion se pré­sente, on le chante “au cha­peau” dans un res­tau­rant…
Le tout, ça va de soi, en se gar­dant de rien prendre au sérieux

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?

Un cru­ci­fix ? La crèche ? La cor­nette d’une sœur de la Sagesse ? Je ne me sou­viens plus très bien.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Syl­vain et Syl­vette”, j’avais quatre ans.

Quelles musiques écoutez-vous ?

Tout le blues, ainsi que Bach, Alan Sti­vell, Bou­lez, ACDC, Van Halen, Van Kam­pen, Jimmy Hen­drix, Tal Berg­man, etc.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le tes­ta­ment” de Vil­lon et “Le dis­cours de la méthode” de Des­cartes.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Intel­li­gence arti­fi­cielle” de Spiel­berg.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?

Un grand gar­çon lunaire un peu gêné aux entour­nures (l’arthrose, pro­ba­ble­ment…)

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?

A mon double (je suis gémeaux).

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

La Gaule bel­gique.

Quels sont les artistes et écri­vains  dont vous vous sen­tez le plus proche ?

Her­man Mel­ville, Cer­van­tès, Dashiel Ham­mett et Charles Deu­lin.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?

Plus de temps qu’il m’en faut.

Que défendez-vous ?
L’humanité entre humains libres et égaux.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?

Ça m’inspire que, bon, sang ce gars-là a mis pile dans le mille, parce que c’est tout à fait ça, on ne peut pas dire le contraire !
Quant à Lacan lui-même, son nom m’a un jour ins­piré ce haïku :
“Féru de Freud à
Vienne attend là que Lacan
Vienne oui mais quand“

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je pense sin­cè­re­ment que Woody Allen lui-même n’aurait pas dit mieux.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?

Pre­nez votre temps, je suis sûr que ça va vous revenir.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 6 octobre 2018.

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