Il existe dans la poésie de Jean-Luc Lavrille une manière de mordre la mule des mots à coups de dents pleines de joie et de jouer le baudet de l’existence avec un “beau dé” non sur un tapis mais dans l’allée qui monte, sinon ta route mais ta physique, là où les ronces bégaient d’un beauvoir passager quand les marguerites durrassent. Dès lors, l’étalage poétique n’a rien d’étal : la vie est à l’envers. La poésie idem. Existe là de manière insidieuse et drôle une quête de la grâce “sangtifiante” dans l’omniprésence des corps. Le “déhanchement” ou la partielle déprise de leur positionnement échappe aux règles trop vite appliquées de manière mécanique par l’écriture usuelle. Ici elle disjoncte. Ou non : s’y créent tellement de branchements en prises multiples que les plombs ont sauté. D’où ces sauts d’hommes et leur “go more”.
Il y a là aussi des foetus de non vie de la philosophie spéciste, des filets de père pissant le sens. Cela a un nom : c’est l’existence verbale lorsqu’elle cultive fracas et cassures. L’homme n’y est plus playmobil : son amorphisme pieux, sa chevelure à la Mireille Matthieu sont soulevés par celui qui ne cherche pas à atteindre la jetée sinon pour la noyer. Il y voit sans doute une mater dolorosa secoué par les vagues à l’âme. Et le palanquinquin qui ne se veut pas des larmes la découpe en pièces comme il le fait de ses vers en tranche de l’art dont le suint est sacrement.
Tout y est bon. Comme dans le cochon et dans la charcutière. Et ce, jusqu’au croupion. La poésie — sans craindre l’aspect déceptif de toute “enfentasmée” (tel qu’il est écrit p 64 et à poing nommé) — le prépare avec des herbes. Un tel trou prouve ainsi ce que Lavrille, après Lacan, rappelle : “Le désir ça se traverse”. Il est vrai que le poète par son nom même a de quoi enfoncer les duègnes jusqu’au bas du Prado. Mais le poison Lavrille n’est pas là pour noyer le poisson. Méfions-nous de ses coup de scie égoïne — d’autant qu’il nous met en garde lui-même : “Sciant t’y fie que pas trop”. Et le poète, jouant d’émaux, fait que la voix est parfois une portion d’image qui a glissé au creux de l’oreille. Elle y fourmille pour nous déclouer de nos crucifixions.
Ce qui n’empêche pas que Lavrille ne fait pas le printemps. Néanmoins, à ne quitter qu’un fils, le jeu de l’inceste (entendons son mouvement) n’est qu’un misérable plaisir, “pire amygdale” à luminosité “phare à ionique” ta mère. Manière de la saluer d’un “ite missa ouest” même si, là encore, rien de nouveau. Ce qui n’est pas le cas d’un tel livre.
Saluons tout le mal que le poète se donne pour nous faire roi des gonds. Cela afin qu’à notre tour nous poussions les portes de la déraison avant que la “mèche soit dite” et les carottes trop cuites
jean-paul gavard-perret
Jean-Luc Lavrille, Jetés aux dés, Atelier de l’Agneau, St Quentin de Caplong, 2018, 89 p. — 16,00 €.