Une certaine teinture iodée : entretien avec Bruno Normand (Les Extrémités )

Du Car­na­val au Carême l’écriture de Bruno Nor­mand  (Les Extré­mi­tés) fait corps avec des images qui char­pentent un abri pro­vi­soire donné pour tous les temps mais sur­tout pour les pluies d’été au vent de force 4 selon la météo marine. Et ce, dans un monde devenu trop désordre pour pou­voir se recons­ti­tuer même par l’écriture. Ce qui n’empêche pas l’auteur de bidouiller — et dans le fra­cas­sant — des tôles et des mots avec divers usten­siles de décou­page pour sou­der un aujourd’hui ouvert, sexuel,  igno­rant le péché ori­gi­nel et sans les anges fous d’être trop gar­diens.
Bruno Nor­mand tra­verse les jetées de ses racines à double fond jusqu’aux îles boro­méennes, au fil de quelques nuits d’amour entre silences et ful­gu­rances . Louvoie-t-il pour autant ? Rien de moins sûr chez un tel taïaut taoiste. Ses mots nous disent lorsqu’ils nous déplacent et nous dépassent. En cela ils per­sé­vèrent en refu­sant d’êtres pères sévères. Ils pré­fèrent déri­ver au fil d’une mère de sarcasmes.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le matin.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Des rêves de grands… des rêves éveillés, comme par exemple, celui là / une ori­gine nous attend, devant…

A quoi avez-vous renoncé ?
A renoncer.

D’où venez-vous ? d’un / ou allons-nous.
Et en ce qui concerne cette enve­loppe… né, pen­dant la recons­truc­tion de Saint-Nazaire, dans l’un des bara­que­ments de la mater­nité pro­vi­soire d’Heinlex, proche d’un tumu­lus. Pre­mières années vécues à La Baule, au lieu dit / La Grande Dune. Dune qu’il nous fal­lait fran­chir pour rejoindre l’école

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La lumière d’ici, Atlan­tique, l’iode

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Il y en a tel­le­ment… en choi­sir un, cela com­mence par le pre­mier café versé brû­lant, puis par l’observation des formes qui s en dégagent, se des­sinent d’abord / qui s’absorbent ensuite les unes dans les autres pour ne lais­ser dans le bol qu’un cercle noir, puis une pre­mière gor­gée et len­te­ment reprendre corps, par­fois s’accompagner d’une lec­ture, seule­ment quelques lignes, quelques pages, et poser le livre / en ce moment lec­ture mini­male de Sous les cendres de Roland Chopard,

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Je ne le sais pas vrai­ment… disons, vivre dans un léger retrait… m’offre matière, maté­riau /probablement oui une iden­tité nous est propre et cepen­dant nous reste cachée, incon­nue sou­vent. C’est pour­tant de cette sin­gu­la­rité (habi­tée, explo­rée, tra­ver­sée) que par­fois arrive quelque chose de plus vaste que nous et qui nous dévoile peu à peu. Beau­coup d’éléments entrent dans La Danse de Vivre, d’Ecrire… dans ce Mouvement-là, comme de s’inscrire ou pas dans un pro­ces­sus d’individuation, de trans­for­ma­tion par l’écriture entre autres. Et cela avec l ‘outil-corps qui nous a été donné, capable de cap­ter des ondes, des vibra­tions et de les tra­duire en textes, en sons. Aussi il m’apparaît évident que les lieux ou nous vivons ont beau­coup d’importance, la nature des sols et des cieux influent plus que nous le pen­sons sur notre manière d’être au Monde et d’y réagir. J’ai ce pri­vi­lège d’habiter une ville avec un port et cette lumière je l’indiquais plus haut, puis­sante même en hiver, une forte lumi­no­sité… avec des marées qui nous accom­pagnent ici, et L’océan à perte de vue. Ce vide conti­nuel­le­ment à por­tée de regard, qui s’invite jusque dans le centre ville percé, tra­versé de quelques larges ave­nues, nul doute qu’il s’immisce éga­le­ment dans l’écriture.

Com­ment définiriez-vous votre approche d’une forme de poé­sie ?
Une approche éro­tique, tou­jours avec cet outil-là, le corps, ce corps comme il aime, aimante comme il est au M/monde vibrant ainsi.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
L’image… la pre­mière je ne sais pas, j’ai l’impression qu il y a eu une mul­ti­tude de pre­mières fois… quand même l’une très cho­quante les fait taire toutes cepen­dant : celle de ce sup­pli­cié démem­bré dans ce livre de Bataille / une autre du même aca­bit, celle de cet homme à genoux ter­ro­risé par le sort qui l attend et entouré d’hommes déten­dus, eux, ciga­rettes au bec, flingues à por­tée de main, s’amusant de le voir ainsi / au seuil de mourir,

Et votre pre­mière lec­ture ?
Là encore j’ai le sen­ti­ment de n’avoir eu que des pre­mières lec­tures …celle qui me ren­con­tra vrai­ment, me dépu­cela / amorça une pré­sence, une conscience.… peut-être … Lanza del Vasto, Le chiffre des choses (1942)  et son / Quand nous sau­rons com­ment les rocs pro­fonds méditent leurs rubis… / je n’oublie pas, Rai­ner Maria Rilke dans les pre­mières lignes de Le livre de la pau­vreté et de la mort :  “/ Je suis peut-être enfoui au sein des mon­tagnes, soli­taire comme une veine de métal pur […] “/ ni lui, Pierre Dhai­naut et son Don des souffles / et son Un Livre d’air et de Mémoire / “La flamme et le vent ont ils décidé / L’énergie, le ver­tige , tu seras libre / innommé, tu seras soli­daire […] “, cela cité de mémoire, par­don si ce n’était pas tout à fait les mots exacts.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Déjà celles men­tion­nées dans mes livres, j’ai beau­coup d’admiration pour les com­po­si­teurs, les musi­ciens… pour tous les musiciens…les vir­tuoses comme ceux qui hum­ble­ment habitent nos rues : là, je pense à un vieux rou­main accor­déo­niste qui chaque année me pro­met de rame­ner du miel de chez lui, là-bas en Rou­ma­nie, et qui n’en ramène jamais. Cela ne fait rien… le miel est dans les touches blanches et noires de son cla­vier, le miel est dans, entre ses doigts qu’il va régu­liè­re­ment trem­per dans son pays, sa nature / je pense aussi au bris­card Brian, pour moi­tié écos­sais, pour moi­tié irlan­dais, échoué là par amour, dit t-il et quand il me joue et chante “Let it be”, à même le trot­toir, il porte en lui l’âme de deux peuples, l’âme de ses parents.
J’écoute aussi bien Les suites de Bach que Por­pora / aussi bien Sibel­lius et ses pièces pour piano seul “The Trees” etc… que Dona­toni / aussi bien Arvo Part que Phi­lip Glass, tous ceux-là éprou­vant les lieux, l’esprit des lieux, les res­ti­tuant, mais j’apprécie éga­le­ment la variété, ces der­nières semaines scot­ché entre autres par les voix et les inter­pré­ta­tions de Zazie avec son Speed et de Juliette Arma­net avec son Je te sens venir, son Amour en soli­taire… et son Manque d’amour, toutes les deux, sang et chair à che­val sur le Souffle, elles me touchent, elles me trouvent…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Les Can­tos” et cela de manière aléatoire

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je passe… ah si, “in Brea­king the waves” (de Lars von Trier) au moment ou le corps sans vie de Bess rejoi­gnant la mer, les cloches qui lui étaient inter­dites sur la terre ferme dans le monde des hommes, là, s’invitent dans le ciel ferme, se mettent à son­ner. Lui ouvrent Nuit, l’enciellent.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Tan­tôt un type qui a encaissé, tan­tôt un petit gars du tao, tan­tôt un connard, tan­tôt un mec assez chaud, par­fois un mec qui doute, par­fois un mec qui sou­rit un peu habité par une confiance qui s’installe lentement.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A per­sonne je crois… par contre, une envie m’a tra­versé quelques fois sans que je la tra­duise encore… dans le geste / Sol­lers… cela arrive(qu’il), qu’elle me touche sa soli­tude, son mate­riau je crois, sa tris­tesse aiman­tée à la joie.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
S’il existe vrai­ment, l’endroit où se cache le saint GRAAL, cet endroit où…

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Outre ceux cités ci-dessus, Tho­reau, Han Shan, le gars Gary Sny­der… Pol­lock, John Cage, Pound, Penone, Bracaval…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
De belles ondes.

Que défendez-vous ?
Cela / de n’abîmer personne.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
L’Amour c’est offrir quelque chose qu’on a / à quelqu’ un qui le désire, le sou­haite / qui n’attend que cela / sa part de yang ou sa part de yin

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Tu fais chier Woody… arrête de faire le malin / tout ce que tu dis, ensuite on nous demande de le commenter.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Com­ment se porte le roma­rin devant votre fenêtre, la der­nière fois ne me disiez-vous pas qu’il était vert /ciel et qu’il sen­tait l’ét(h)ernel?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 5 octobre 2018.

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