Dans l’aciérie Wandel, les ouvriers sont en grève depuis plus de deux semaines. Marcello, un des meneurs, obtient que le conflit perdure car les patrons semblent vouloir discuter. Il est amoureux de Louisa, un amour partagé. Mais le père de la jeune fille a un autre prétendant pour elle. Un recruteur vient faire la promotion d’un chantier, le percement d’un canal, qui offre bien des avantages et un salaire conséquent. Ce lieu de rêve a été baptisé Eldorado. Et la police charge les grévistes.
Marcello et Louisa décident de partir. Il en parle au bar que tient Gino, le frère de Louisa. Celui-ci saoule le garçon qui est embarqué sur le cargo en route vers le chantier du canal. Sur place, il n’a pas d’autre choix que de travailler pour rembourser la compagnie des frais de son voyage et de son quotidien. Les conditions de vie dans la jungle sont très pénibles et le travail est épuisant. Marcello qui aime la poésie et l’écriture trouve dans la rédaction de lettres à Louisa le moyen de garder sa raison et de vivre avec un objectif. Les indiens qui habitent la zone vivent cette intrusion qui détruit leur environnement avec un certain fatalisme, semble-t-il.
Barbara Hogen, l’épouse d’un ingénieur, se morfond. Elle ne rêve que de départ, délaissée par un époux mobilisé par le chantier. C’est par hasard qu’elle prend connaissance d’une lettre de Marcello. Son contenu l’enchante et elle soudoie celui qui fait office de facteur pour avoir toute la correspondance. Mais rien ne peut rapprocher ces deux êtres évoluant dans la douleur, dans deux univers différents. Or…
C’est le début du XXe siècle avec l’émergence de ces nouvelles formes de travail en ateliers, avec la science et la technique qui se développent et le besoin de modeler l’environnement pour répondre à une exigence de profits. « L’argent de nos actionnaires n’est pas destiné à alimenter un puits sans fond. » déclare un responsable face aux retards du chantier. Sur les pas de Marcello, ce jeune syndicaliste, les auteurs mettent en scène les luttes sociales des ouvriers contre un patronat aussi gourmand que pouvaient l’être les grands propriétaires terriens. Puis ils décrivent la vie des ouvriers à qui on a fait miroiter une belle situation au cœur d’un pays à l’environnement hostile, les conséquences sur le terrain de ce chantier titanesque.
Même s’il n’est jamais cité, on ne peut s’empêcher de penser à celui de Panama dont le percement s’est achevé en août 1914.
Avec ce récit, Damien Cuvillier et Hélène Ferrarini abordent nombre de problématiques avec, en fil rouge, une saisissante histoire sentimentale. L’amour, ce sentiment qui permet de faire face aux pires situations, est mis en valeur ainsi que l’intérêt de l’écriture pour faire passer les émotions. Outre les luttes sociales, le récit détaille les conditions de vie sur un chantier la façon d’embaucher et de conserver la main-d’œuvre, une main d’œuvre décimée par les maladies, les accidents, les conditions d’hygiène, l’alcool… Les auteurs abordent également le rapport à la nature et les dégâts causés sur un écosystème qui permettait à une flore, à une faune et à une population autochtone de vivre en étant adaptées.
Le graphisme est superbe au point de vue du travail tant sur les personnages que sur les décors. La minutie des traits, la composition des planches, la mise en page concourent, avec le choix des couleurs, à faire vibrer le récit. L’expression des sentiments, le flou qui, peu à peu, envahit l’esprit du garçon effaçant les souvenirs de l’être aimé sont rendus avec une belle subtilité.
Avec ce récit, à la fois technique, environnemental et sentimental, les auteurs offrent un bien bel album mis en valeur par la volonté de qualité de l’éditeur.
serge perraud
Damien Cuvillier & Hélène Ferrarini (scénario), Damien Cuvillier (dessin et couleur), Eldorado, Futuropolis, août 2018, 176 p. – 26,00 €.