D’un melting “potes” des Hauts de France
Il existe dans les “places” des belles villes comme des immondes cités un point d’ironie et de capiton. Un factieux tel qu’Olivier Domerg sait en épouser l’espace à travers celle de son choix : la place Ducale de Charleville-Mezières. Elle devient le parangon de toute géographie urbaine.L’auteur pousse l’analyse de son anatomie et du découpage. Par essence, une « place » est un nom lieu et un non lieu. Elle se caractérise par ce qu’elle ouvre, bref c’est un vide mais qui est substance et point de départ de la rhizomatique urbaine. Abstractive par sa fonction de transfert, d’une certaine manière elle fait sens par ses bords, porches, arcades, passages. Mais elle se définit aussi par ce qu’elle contient et ceux qui s’y agitent.
Domerg en décline les mouvements intérieurs et extérieurs en 15 temps d’une poésie urbaine ludique et impeccable d’acuités. Surgit l’interrogation sur la forme de la cité à partir de ce noeud central dont le carré de l’hypothénuse devient une sorte de boucle dont Raymond Devos ou Tati ont déjà dévoilé la constance, l’incongruité et la nécessité vitale. Elle prouve aussi que “le coeur de la cité change moins que le coeur des mortels” (Baudelaire).
“Trou” et terre-plein, de ce centre, tout pulse et se déplie. Chez Domerg, son lieu devient même métaphore, noeud borroméen. L’auteur montre combien elle fonctionne en miroir et permet aux badauds (habitants ou touristes) de se définir à partir de son carré et ses pans. C’est donc le lieu de suspens de divers sinistres et plaisirs : si bien qu’elle est à la ville ce que le ciel est à l’être suprême.
Dans son cube, toutes les directions de l’espace se distinguent des coordonnées cartésiennes pour donner lieu au « hasard » de la rencontre. Cela prouve que ce hasard est créé moins du bout de ficelles des ruelles que par ce lieu privilégié. Il permet de singuliers enchevêtrements et des scènes que l’auteur prend plaisir à rappeler.
Fédératrice, pratiquement géodésique la place est lieu d’échange et de communication où se mélangent élan et abandon. L’auteur devient à ce titre le Levi-Strauss de Charleville-Mézières par son regard à la fois intime et distancié. C’est d’ailleurs une de ses spécialités. Avec lui, le monde n’est jamais un musée mais le melting “potes” que l’auteur prend du plaisir à retrouver.
jean-paul gavard-perret
Olivier Domerg, En lieu et place, Postface de Michael Foucat, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2018 — 20,00 €.