Celui qui défend l’entrée de son bureau : entretien avec Rémy Disdero, l’encyclopède

Gymnaste de l’écriture, Rémy Dis­dero (Oaris­tys et autres textes) avance par sauts et gam­bades en toute liberté. « L’enfant-bouc » n’en fait qu’à sa tête et sa poé­sie s’en res­sent. Il ose tout : le réel, le rêve, le cau­che­mar. Au fleuve Amour il pré­fère les Danubes qui ne sont pas for­cé­ment bleus. Et les condi­tions de leurs lit­to­raux sont sou­vent grif­fées par les bar­be­lés élec­tri­fiés. Les « moteurs figu­ra­tifs» que son écri­ture enclenche sont prêts à embrayer sur des dia­go­nales du fou et des entrées secrètes — le tout en des illu­mi­na­tions « obs­cures» mais loin de tout néant.
Dans ses livres, Beckett et des Forêts lorgnent du côté de Zola comme d’Eugène Sue, de Que­neau ou de Mli­chel Ohl lorsque le besoin s’en fait sen­tir. Mais l’auteur trace ses propres che­mins de diable en de beaux mixages. Bref, l’oeuvre tranche au milieu de toute la poé­tique bobo qui fait le lit et le lieu banal de la lit­té­ra­ture com­mu­nale, libé­rale ou com­mu­niste. Proche de la veine des Sur­réa­listes belges dont il se rap­proche, Dis­dero devient l’ « ency­clo­pède » pince-sans-rire maître d’un cer­tain gro­tesque et de la déri­sion que les saints taxent de mau­vaise langue.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’exonirose.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Une brume d’aube sur le fleuve, quand viennent les pre­miers froids. Et si j’ai pu en réa­li­ser un, il était trop tard, ce n’était plus vrai­ment un rêve, et je me suis retrouvé, par acquit de conscience, en mon cau­che­mar d’adulte.

A quoi avez-vous renoncé ?
Qui a dit que j’avais renoncé à quelque chose ?

D’où venez-vous ?
De la boulangerie.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La luxure.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Ouvrir ma boîte aux lettres.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains et artistes ?
Le nombre de cli­chés de moi en circulation.

Com­ment définiriez-vous votre tra­vail d’écrivain ?
Poli. Pru­dent. Méti­cu­leux. Incertain.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Saturne dévo­rant ses enfants.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Un bon petit diable”.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Un peu de tout, avec une pré­di­lec­tion pour le rocksteady.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Plu­sieurs livres, en par­ti­cu­lier Mol­loy, “Le bri­gand, Le buveur, Le bavard”.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Les larmes du tigre noir”.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un hébété. Un perdu. Un coucou.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Pour­quoi n’oserais-je pas écrire à quelqu’un ? Je me sens très à l’abri der­rière ma plume.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ros­sell, en Catalogne.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Michel Ohl, le fac­teur Che­val, Hans Fallada.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un livre.

Que défendez-vous ?
L’entrée de mon bureau.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
L’envie de le contredire.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Est-ce parce qu’elle est de W. Allen que cette phrase a fait long feu ? Je ne par­viens mal­heu­reu­se­ment pas à en sai­sir la subtilité.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Toutes les autres, notam­ment les ques­tions d’ordre privé, avec les­quelles je me serais volon­tiers battu.

Entre­tien et et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 3 octobre 2018.

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