Voici un livre à mettre entre toutes les mains des cancres : manière de les faire renouer avec les professeurs. Du moins certains d’entre eux. La réédition des mémoires « de guerre et d’humour » de l’un des plus célèbres, quoique ni certifié, ni agrégé — le Professeur Choron — prouve comment l’horreur et la douceur, la destruction et l’élévation, la violence et l’humour créent une éducation première et un destin dont les « remugles » se découvrirent numéro après numéro dans « Hara-Kiri »et « Charlie-Hebdo ».
Ce professeur (Georget Bernier de son vrai nom) ne connut pas les hautes études universitaires mais les « fossés » : ouvrier, voyou, escroc, gigolo, engagé dans la guerre d’Indochine, vendeur de journaux, il fut aussi éditeur, chanteur et surtout satyre satirique impitoyable.
« Le cul dans la choucroute et la bite au champagne », il transforma la presse et sut défendre ses positions (plus nombreuses que celle du Kamasoutra) dans ses écrits, images, scénarii transformés en spectacles avec ceux dont ils sut s’entourer. Les plus âgés se souviennent de ses prestations télévisuelles (chez Michel Polac entre autres). Armé de son polo et de son fume-cigarette, il avait tout d’une noblesse du XVIIIème arrondissement. Il cultivait la scatologie, la goujaterie, le mauvais goût, une fausse misogynie et un caractère réactionnaire du même tonneau.
Sous son aspect pèpère (forcément pervers) il demeura un anarchiste, un roi de la provocation tout azimut et de la mauvaise farce portée au rang d’esthétique absolue. Il s’agissait pour lui d’être haï pour éviter tout pathos. Relire sa biographie est donc un bain de jouvence.
Bien moins « touchant » dans ses propos autobiographiques que son compère Cavanna, il fit de l’arrogance et de la plaisanterie autant gratuite et à deux balles qu’impertinente sa méthodologie journalistique. Il a inventé une science du montage et du montrage par laquelle il réinventa des genres parfois tombés en désuétude comme le roman-photo.
Proche du réel ‚Choron (on finissait par oublier son titre) sut toujours tirer plus des femmes (du moins le proclamer pour épater le poulailler de l’édition) que des larmes et donner de lui non une vérité mais une image. Son autobiographie (écrite avec Jean-Marie Gourio) la casse – mais juste ce qu’il faut : pas question pour lui de prétendre à une vérité d’appartenance ou d’incorporation — dans n’importe quel « corps » que ce soit.
jean-paul gavard-perret
Professeur Choron, Vous me croirez si vous voulez ( Mémoires de guerre et d’humour), éditions Wombat, coll. Les intempestifs, 2018, 164 p. — 22,00 €.