C’est à Conques dans un hôtel donnant sur l’abbatiale du onzième siècle où l’auteur passe une nuit que celui-ci voit et surtout éprouve ce qui demeure de l’ineffable autant au niveau du sacré (vitraux) que du trivial (le vin) ou de la nature. Le lieu de passage devient un point de rayonnement que l’écrivain approfondit lors de son retour dans « sa » forêt près du Creusot où la solitude fait creux voire creux-ation. Son texte devient une sorte de lettre d’amour, fragment après fragment, pour signifier la beauté du monde.
L’auteur redistribue une parole enfouie que beaucoup d’écrivains ont tenté de faire saillir en vain. Bobin à l’inverse devient l’enchanteur du lieu et du moment pas seulement au nom d’une beauté orphique mais parce qu’ils disent ce qui en nous, et au sein du désir, erre et ne peut se diriger.
Pour l’auteur, le désir est charnière, c’est une porte qui s’ouvre ou plutôt que nous ouvrons de gré ou de force. Tous les cas sont possibles. Toutefois, l’auteur ne fait pas la part trop belle aux errances du corps et de l’inconscient. En eux et pour lui, on se dirige pas au hasard. Et il n’est pas jusqu’à la force de l’amour auquel souvent l’être entend échapper qui fait obligation mais selon parfois de belles torsions dont le monde est plein.
Il y a là une promesse d’un autre horizon, d’une aventure à la fois usuelle mais aussi existentielle. Et le texte crée un mouvement qui retient son souffle, engendre des silences afin que soit laissé vacant un temps pour la contemplation. C’est pourquoi ici la parole ne se vide jamais de sa substance. Elle permet de conjurer le silence du doute, de ranimer une présence. C’est une parole qui oblige à écouter et à voir. Il y a là non un faire-part mais un faire-corps là où le langage n’est pas employé pour lui-même, mais en tant que mode de transmission du ressenti.
jean-paul gavard-perret
Christian Bobin, La nuit du cœur, poésie, Gallimard, coll. Blanche, Paris, 2018.