Peter Loughran, Jacqui

Adorable bêtise crasse

Avec Peter Lough­ran l’amour n’est pas seule­ment aveugle. « Je crois bien qu’il est sourd, muet, et débile men­tal par-dessus le mar­ché” écrit l’auteur. Pour le prou­ver, il entre dans la sub­jec­ti­vité men­tale d’un chauf­feur de taxi atra­bi­laire, gueu­lard, misan­thrope, roué, imbé­cile, miso­gyne et sur­tout assas­sin. Pour autant, le crime semble jus­ti­fié : « Si son quo­tient d’intelligence et de savoir-vivre avait été pro­por­tion­nel à la den­sité de son sys­tème pileux, je n’aurais jamais eu avec Jac­qui les pro­blèmes que j’ai ren­con­trés en la fré­quen­tant. » Jaqui n’était donc pas poi­lante.
Et l’auteur de vati­ci­ner non seule­ment sur la rai­son qu’il a eu de tuer sa femme mais tout autant sur les dif­fi­cul­tés de se débar­ras­ser de son corps : « Vous avez déjà tué quelqu’un ? Et puis tenté de vous débar­ras­ser du cadavre ? Le corps humain, c’est un truc incroya­ble­ment dif­fi­cile à faire disparaître. »

En tout état de cause ce chauf­feur de taxi n’était pas fait pour vivre avec une femme : céli­ba­taire endurci, qua­si­ment aso­cial il est inca­pable de créer une rela­tion avec le beau sexe (épilé ou non). Les Eve n’étaient pas faites pour le dou­teux Adam. Jaqui fut à ce titre la mau­vaise per­sonne. Elle n’était pas la seule : mais c’est tombé sur elle. Elle-même ne s’en est aper­çue que trop tard. Elle a donc sauté sur le mau­vais che­val qui, pour toute excuse, ne peut affir­mer que : « Je ne m’étais pas si mal conduit envers elle, d’ailleurs. Oui, je l’avais tuée, mais on doit tous mou­rir un jour. »
C’est un peu court. Mais le taxi­man est suf­fi­sam­ment bas de pla­fond pour s’en conten­ter. Dès lors, nulle ques­tion d’en faire un héros. Dans le genre pire, on ne peut guère faire mieux. Mais tout nous est conté de son his­toire sor­dide : des rai­sons pre­mières à la manière d’effacer de la sur­face de la terre un corps « plus dif­fi­cile à dis­si­mu­ler qu’une érec­tion dans un slip de bain. »

L’auteur s’amuse en épar­gnant aucun détail : à l’inverse même, il s’y attarde. Mais, à notre grande honte, nous rions avec le cynique et sa vio­lence, ses juge­ments péremp­toires qui tiennent de brèves de comp­toir. Pour sa défense : son amour ne fut pas récom­pensé. Mais com­ment aurait-il pu l’être ? Le nar­ra­teur est détes­table et sa bêtise crasse.
Et les édi­tions Tusi­tala ont le mérite de déni­cher des pépites encore non tra­duites : ce livre en fait par­tie. Il aura fallu attendre plus de trente ans pour qu’il soit tra­duit et s’en « délec­ter » — abu­si­ve­ment peut-être.

jean-paul gavard-perret

Peter Lough­ran, Jac­qui, tra­duit de l’anglais par Jean-Paul Gra­tias, Tusi­tala, 2018, 249 p.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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