Éric Chauvier, Le Revenant

Les portes de la nuit

Le livre d’Eric Chau­vier sur Bau­de­laire béné­fi­cie d’un écho inat­tendu. Nous en sommes ravis pour l’auteur et son sujet. Il est vrai que le récit est habile : au-delà de sa mort, Bau­de­laire renaît (le 18 jan­vier 2018) « sous la forme d’un zombi syphi­li­tique » que tout le monde ignore puisqu’il ne semble qu’indigne et misé­reux parmi les indi­gents dont la capi­tale ou du moins cer­tains de ses quar­tiers regorgent.
L’auteur des Tableaux pari­siens  sou­dain revi­site « l’immonde cité » comme il la nomma jadis au moment où Chau­vier rap­pelle le lien que Wal­ter Ben­ja­min avait sou­li­gné dans Les Fleurs du mal  entre la femme, la mort et Paris. Le poète en son ombre ou ersatz la par­court à la recherche sinon du calme et du luxe du moins de la beauté et de la volupté en fai­sant incons­ciem­ment abs­trac­tion que, pour sur­vivre désor­mais, il vaut mieux renon­cer à l’amour.

C’est astu­cieux, imper­ti­nent. Chau­vier crée un pont entre le cœur du Paris du XIXème siècle et celui d’aujourd’hui. Rien n’a vrai­ment changé : à la misère d’antan fait place la nou­velle encore plus criante dans la per­cus­sion entre deux popu­la­tions qui se côtoyaient jadis de la même façon : une bour­geoi­sie de plus en plus riche et des errants de plus en plus nom­breux. Le « mori­bond » Bau­de­laire fait par­tie de cette der­nière caté­go­rie si bien que ceux de la pre­mière res­tent « étran­gers » à lui, même s’ils font preuve d’une cer­taine com­pas­sion à tra­vers divers actes de contri­tion cha­ri­table via le « Care » de diverses obé­diences.
Cette pau­vreté de ceux qui sont nés ailleurs, Bau­de­laire l’avait en son temps sou­li­gnée comme il avait rap­pelé l’égoïsme des nan­tis de son époque. Certes, le poète tel un nou­veau Saint Lazare tra­verse « sa » ville ten­tant comme jadis de retrou­ver la beauté par exemple à tra­vers la vision d’une nou­velle mulâ­tresse. Mais cette « curio­sité » esthé­tique se replie dans les affres d’une pau­vreté qui sai­sit les exclus et fait du reve­nant un presque can­ni­bale — ce qui lui vaut un quasi lynchage.

Mais tout est bien là dans la suite logique de ce que le « vrai » Bau­de­laire annon­çait dans ses poèmes et en par­ti­cu­lier dans les sec­tions des Fleurs du mal où « La rue assour­dis­sante autour de moi hur­lait ». Rien de nou­veau sous le soleil. Les bruits ne sont plus les mêmes mais leur nature est tou­jours consti­tuée de colère imbé­cile et de peur. Si bien que Bau­de­laire abdique une nou­velle fois. Il renonce à sa seconde vie et finit dans une ban­lieue nord-est. De son cadavre s’élève « La Voix de tous les dam­nés de la ville ». Existe donc là ce qui fait à juste titre le suc­cès et la rai­son de lire ce livre. La poé­sie de la ville y est plé­nière.
C’est celle certes de la vie mais aussi de la mort qui est don­née à ceux qui tentent d’y trou­ver un espoir de salut. Le tout au nom de Bau­de­laire, des dému­nis mais aussi et d’une cer­taine manière de Dante dont l’auteur des Fleurs retrouve les étages et les cercles quel qu’en soit le registre : « enfer ou ciel qu’importe » comme il disait. Mais le pre­mier est plus pro­bable. Sinon ailleurs, du moins ici-même, ici –bas.

jean-paul gavard-perret

Éric Chau­vier, Le Reve­nant, édi­tions Allia, 2018, 80 p. — 7, 50 €.

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