Claire Dumay ressemble à cette actrice célèbre qui n’aimait que deux types d’hommes : ceux qui ont des moustaches et ceux qui en n’ont pas. Toutefois, moins licite sur son intimité que la comédienne hollywoodienne la poétesse se contente de préciser qu’elle apprécie le jus acide des « disques d’hostie noyée » de gingembre dans le thé matinal comme du tapioca insipide mais dont l’alchimie réinvente un concept bulgare sous forme de yaourt démoulé « qui serait la forme générique de l’idée fixe » voire le yaourt plus européen lorsqu’il entre dans « le blanc du sujet ».
Le livre en ses divers moments et tableaux se dessine ainsi à l’image de la photographie du Colorado d’Alain Sicard : il serpente dans le grand comme le petit, les concrétions comme les abstractions. L’objectif est autant de circonscrire et d’ouvrir selon divers assemblages, inventaires, jeux de strates et de plis. La poétesse n’écrit pas un livre de vérité mais celui des erreurs et des contradictions volontaires. Les méandres et les cascades répondent néanmoins à une forme de méticulosité dans un tel « rio » qui appelle les bravo. Le lecteur est saisi par des mouvements divers, des pluies d’été, là où l’hirondelle du printemps file vers le plus bel automne en rameutant des choses l’écorce et la sève, les cadavres des mouches, les fils de moquettes et des résidus de savon afin de créer un parallélépipède type Cadum.
Il y a aussi tout un monde grouillant et mosaïque où la misanthrope suit les files avant de s’endormir le soir avec les écouteurs de son portable qui transforment ses rêves en une marmelade aux annonciations suspectes. Plus besoin alors pour la créatrice de fumer la moquette dans l’enquête sur elle-même que propose son livre en sa « prosodie horlogère » où tout devient douteux : la lumière du sacré, le pénis phénix de son mari lorsqu’il se tend pour une autre.
Bref, tous ces petits riens qui font la vie et ses cendres dans ce livre d’heures qui ne sonne pas forcément à moments fixes mais selon les prospérités des vicissitudes.
jean-paul gavard-perret
Claire Dumay, “Arracher le tapis”, Atelier de l’agneau, 2016, 140 p. — 17,00 €.