Du génie usurpateur de mauvaise foi
Don Juan reste le modèle de l’imposture mais il en signa la grandeur puisqu’il y laisse sa vie. A ce titre, il est plus sympathique que ceux qui sacrifient la vie des autres plutôt que la leur (on se souvient du livre d’Emmanuel Carrère sur un cas d’école contemporain). Maxime Decout fait le tour de la question de l’imposture sous divers formes du mensonge : la triche, le bluff, le maquillage, la transformation, etc.. La liste est longue. D’autant que cette thématique reste un des ressorts premiers et magiques du romanesque quels qu’en soient la nature et les supports.
L’auteur montre aussi ce qu’un tel terme cache chez les imposteurs : il y à là une part d’orgueil et tout autant de lâcheté, un aspect maladif mais aussi froideur et lucidité, transgression et bravoure. Les histoires politiques de Cahuzac et Fillon ont donné de pâles prescriptions eu égard à la bravache. Mais l’imposture peut parfois prendre des aspects héroïques et le XVIIIème siècle et les Lumières demeurent l’époque où elle fleurit.
En France Diderot s’en est fait le chantre avec ses héros hâbleurs impénitents et peu fiables qu’on retrouve chez Sterne bien sûr mais aussi chez Laclos et le Marivaux du “Paysan parvenu”. Le génie usurpateur de mauvaise foi bouger parfois les lignes des pouvoirs et de ses traquenards. Decout opère encore un pas au-delà en rapprochant l’imposteur et son limier. Ils ne sont pas si éloigner que cela.
On le voit dans certains films où il n’y a pas que les monte-en-l’air à se grimer (qu’on pense aux films de Losey qui traitent souvent ce thème). Il est visible aussi dans certains livres où le romancier joue de divers impostures et systèmes de piège : c’est vieux comme Sterne et Diderot déjà cités mais cela se retrouve chez Poe, Borgès, Robbe Grillet, Pessoa, Pérec ou Nabokov. Il y a chez eux des détrompeurs trompés, des innocents meurtriers, des joueurs addictifs et maîtres d’aucun enjeu sinon existentiel.
L’auteur propose enfin un point plus qu’implicite sur notre monde, son puzzle, son labyrinthe de tricheurs et des beaux parleurs, de policiers fous et bien d’autres mal ou bien-faisants qui nous approchent. Manière de rappeler que « le grand seigneur méchant homme » de Molière est souvent notre semblable, notre frère — surtout pour ce qu’il en est du dernier terme de la proposition de l’auteur du Tartuffe.
jean-paul gavard-perret
Maxime Decout, Pouvoirs de l’imposture, Editions de Minuit, 2018, 192 p.- 19,00 €.