Le moi et ses doubles — les singes et les anges
La littérature trash/gothic reste considérée comme une sous-culture aux histoires de caniveau. C’est faire une belle torsion à la pensée profonde et une biffure sur ce que les mots peuvent dire et faire en tant qu’ouverture sur le moi intime comme sur la société où le “je” se retrouve à l’état de victime ou de bourreau.
Curieusement, cette anthologie prouve que dans ce genre les femmes sont plus pertinentes et impertinentes que les hommes. Les seconds prennent la pause, à l’inverse les premières avancent sans chercher un paraître dissonant. A l’exception des textes lumineusement sanguinaires de Jacques Cauda (mais pour l’auteur de ces lignes ce n’est plus une révélation), les femmes dépotent les poteaux roses et mixent les singes et les anges.
Retenons essentiellement Luna Beretta et Claire Corda. Leurs chasses gardées sont parfois celles du comte Zaroff, parfois celle du monde tel qu’il est “mondo merdo au chant des mygales” (comme écrit Mathias Richard dans cette anthologie). Plus généralement ici, la littérature gothique fonctionne comme un jeu de miroirs où les émotions qui se donnent en partage sont exarcerbées par la cruauté des scènes et de l’écriture. Celle-ci révèle les mécanismes d’un réel qui n’est pas la réalité mais bien plus complexes qu’elle.
Divers jeux de temps et de dédoublement créent des tensions qui n’empêchent pas forcément un humour et un détachement par rapport à des situations a priori dramatiques. La peur et la douleur sont ainsi distanciées là où chaque texte devient porteur d’indices propres à diverses interprétations.
La nudité est souvent mise en scène et surtout en charpie afin de mettre à mal les préjugés de l’humanisme bien tempéré sur le corps que l’on se donne et celui qu’on donne aux autres, pour parfois les déchirer. La trash culture garde le mérite de rappeler que la vie privée ou sociale est souvent douloureuse. Les auteurs réunis ici la créent avec passion lucide et débridée et sont capables de scénariser ses affres.
Alors, pour ceux et celles qui seraient choqués, nous pourrons émettre l’injonction chrétienne : “Pardonne leur Seigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font”.
jean-paul gavard-perret
Luna Beretta & Artikel Unbekannt, Dimension violences, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2018., 268 p. — 20,00 €.
Merci cher Jean-Paul !