Jean-Claude Goiri, Gestuelle

Le rêve de pou­voir parler

D’une cer­taine manière, on a retiré la langue à Jean-Claude Goiri lorsqu’il était enfant. Désor­mais, plu­tôt que de la tirer en un retour du refoulé il la cultive pour tra­vailler dans l’inutile : « l’utilité étant une obli­ga­tion sociale, le geste inutile devient ainsi un mou­ve­ment de l’intime ». D’où la grande éva­sion de celui qui ne man­quait pas de souffle mais à qui on le coupa. Il fati­guait celle qui lui impor­tait le plus au monde. A papo­ter jusqu’à plus soif il crai­gnait son aban­don et devint « bègue rongé par la trouille ». D’autant qu’il res­tait le der­nier de sa famille « à por­ter cette croix sculp­tée par le fran­quisme » avec — en prime — le poids des silences et du men­songe.
Mais ce livre est sur­tout l’histoire d’une sur-vivance, d’une renais­sance avec le souci de ne pas dupli­quer ce qui lui fut appris. D’autant que, très vite, il apprit à deve­nir un gai luron révo­lu­tion­naire. Cela fait de lui l’homme heu­reux d’aujourd’hui. Un aveu reste si rare qu’il convient de le sou­li­gner. D’autant que le ton du livre le prouve. Il est allègre, ignore l’amertume et jusqu’à ses retours sur le passé va de l’avant.

Cela n’empêche en rien une saine luci­dité. Entre autres sur la notion de mémoire et de res­pect, termes qui sont aujourd’hui mis à toutes les sauces — ce que l’auteur ne sup­porte que mal : « le res­pect, ça ne se réclame pas avec un clai­ron, ça s’accueille…ou pas ». Belle manière de remettre autant le « je » que « l’autre » à sa place sans pour autant user d’un laca­nisme mal com­pris. Ici, pas besoin de coupes roses dans la peau des mots. Le texte avance en igno­rant les sub­ti­li­tés plus ou moins hyp­no­tiques. A cha­cun d’en faire son usage. Le meilleur pos­sible.
Mais ce n’est pas simple. Goiri le rap­pelle : qu’un mot pointe sur le bout de la langue et il est déjà mul­tiple. Rien n’est simple, tout se com­plique. Mais l’auteur pro­pose ses leçons d’une « main » ferme, légère et pra­tique en sa chan­son de « gestes ».

jean-paul gavard-perret

Jean-Claude Goiri,  Ges­tuelle, Z4 édi­tions, Le Mon­thury, 39300 Les Nans, 2018, 80 p. — 12,00 €.

 

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