L’écriture sauve-t-elle ?
Pauline Sauveur ne connaît pas l’insistance mais juste la délicatesse. Et c’est justement par sa finesse impérieuse que ce livre prend : quelque chose force à suivre l’auteure-narratrice dans un mouvement d’espérance vers une libération doublé d’un empêchement. Si bien que l’émotion intime prend ici une perspective à la fois dure et violente mais où les mots les plus durs créent la caresse comme celle d’une main sur un feston.
La « sage et muette poupée coquette » (et craquante) se retrouve « clouée, inerte, chiffonnée, un accroc recousu de fil bleu sur ta peau rose bonbon ». Mais cet accroc — quoique fermé — ne « cicatrise » pas. Néanmoins, tout se dit avec humilité, force, humour (avec ce cri de révolte pour les ours fussent-ils en peluche).
Le corps est omniprésent mais sans être « matière » à exhibition. S’en perçoivent les effets de profondeurs, de surfaces, de lignes et perspectives Existe une sorte de dérive urbaine là où « la petite » est qui elle fut, ce qu’elle devient. La créatrice nous ramène à des points de jonction et d’achoppement, sans lamento mais selon des rafraîchissements à la mémoire de la raison de vivre ou de tenter de le faire.
L’écriture dans sa ténuité incisive et alerte crée un chemin qui balance entre la brûlure des ronces morales et la nudité du soleil rêvé. Il fend la nuit du passé et l’auteure l’élucide dans la lumière du présent. Là où tout fut pour l’enfant obscur et résistant, Pauline Sauveur l’érige en une transparence — ce qui ne veut pas dire que l’écriture la sauve pour autant. La littérature semble devenir un art aussi rupestre que contemporain.
Le passé empiété crée d’étranges perspectives et structures afin de monter comment une vie se décrée au moment où elle devrait se réveiller. Tout cela dit sans haine car une telle « couseuse », reprenant un fil premier et parfois un fil perdu, crée un point moins de croix que discrètement sensuel. Pauline Sauveur suggère le sentiment diffus d’un étrange accomplissement en devenir. Libérée des références classiques de la psyché, l’auteure se « recoud » dans des « prises » d’espaces sourdement remplis mais aussi nourris d’intervalles.
Le texte gagne en ouvertures par de tels tracés comme si la main de la créatrice le façonnait « aveuglément » yeux ouverts, yeux fermés en dentelles pour le faire apparaître autrement.
jean-paul gavard-perret
Pauline Sauveur, Les yeux brodés, Jacques Flament Edtions, 2018., 78 p. — 10,00 €.