Pierre Patrolin, J’ai décidé d’arrêter d’écrire — Rentrée 2018

La mala­die de l’écriture

Pierre Patro­lin — ou son nar­ra­teur — a décidé d’arrêter d’écrire. Mais que le lec­teur se ras­sure, l’auteur ne l’a pas encore fait. Et son livre reste cer­tai­ne­ment un des plus beaux et réus­sis de la ren­trée. Il existe là une dérive, une des­cende, un aban­don façon d’éveillé, façon d’endormi comme aurait dit Michaux. L’abstinent est drôle, tou­chant et dolent. Sa mala­die de l’écriture le pousse, dès qu’il a déchiré une page en se pro­met­tant de ne plus y tou­cher, à remettre ça. Chaque fois, c’est en sub­stance : « gar­çon l’addiction ! »
Dès lors, entre l’histoire qu’il concocte, ses lec­tures et ses actes de contri­tion, la vie va et le work in pro­gress de même. D’autant que l’auteur s’est aperçu qu’en s’interdisant d’inventer une fic­tion il se condam­nait « à pou­voir seule­ment énon­cer l’ébauche d’un récit ». Qu’à cela ne tienne : vogue l’histoire d’une rivière sans retour ou du fleuve amour. Elle se fau­file en méandres dans l’espace men­tal et gra­pho­ma­niaque du vel­léi­taire endurci.

D’autant que tout est bon pour l’écrivaillon (mais qui vaut bien mieux que ça) : renon­çant au crayon, il passe au stylo puis à des tech­no­lo­gies plus moder­nistes afin de racon­ter l’histoire de la si reine qui « reste long­temps immo­bile dans l’eau, les fesses dans la rivière ». Elle semble ne pas avoir autre chose à faire, fidèle en cela à son nar­ra­teur qui, d’une lec­ture et d’un verre aux autres, pour­suit en fidé­lité à Barthes un récit qui est une grande phrase ou une grande phrase qui est un petit récit.
Force lui est de consta­ter, au fur et à mesure de l’écriture, qu’il avance en tex­tuo­gra­phie en s’enrichissant sans cesse de ses lec­tures mais ce qui ne va pas sans ava­nies. Qu’une femme apprenne à jouir dans un de ces gra­pillages livresques lui fait perdre le fil, si bien que la mule de son récit avance tant bien que mal jusqu’à ce qu’une fin impré­vue arrive. Mais elle ne clôt pas pour autant le livre.

Car le réel existe avec Jac­que­line l’aimante, un trai­te­ment de texte qui fait par­fois des siennes et où la plume qui le rem­place sèche. D’où cer­taines pertes sèches et d’autres dans le lit de la rivière jusqu’à ce que, enfin, tout finisse comme cela a com­mencé : en queue de pois­son — ce qui est nor­mal pour un roman en dérive.
Et l’exercice de la cita­tion per­met de tirer le rideau. Et ce, au moyen de deux livres for­cé­ment phare : « Le Dénoue­ment » et « Le Monde comme volonté et comme repré­sen­ta­tion ». A l’aube du néant plus ou moins caressé, Scho­pen­hauer est une aubaine. De plus, quand le livre se ter­mine nous sommes ras­su­rés : Pierre Patro­lin va conti­nuer à en écrire. Ce qui est ter­rible pour lui et par­fait pour le lecteur.

jean-paul gavard-perret

Pierre Patro­lin,  J’ai décidé d’arrêter d’écrire, P.O.L édi­tions, Paris,  172 p. — 17, 00 €. A paraître le 4 octobre 2018.

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