Jacques Moulin, L’Epine blanche

La lettre d’après

Vers la fin de son texte l’auteur écrit « Le cédant à signé. Ça flue comme un sai­gne­ment de nez ». Certes, après il y aura encore un petit café mais c’est là le der­nier liquide d’un suin­te­ment de celle qui but les larmes de vie et de mer et de celui qui but le lait de la dis­pa­rue. L’air de rien elle aimait « Aucas­sin et Nico­lette » : qui aujourd’hui connaît encore ce fabliau ?
Entre poème en prose et vers s’inscrit le monu­ment à la morte. Mais le temps n’a plus toute sa tête. Petit Pou­cet a perdu là ce qu’il était : un re-père. Il ne veut pas faire le deuil et se moque des théo­ries de la rési­lience, cet huma­nisme de la der­nière ins­tance pour ras­su­rer bobos et gogos. Lui, le fils, il res­tera der­viche tour­neur dont la mobi­lité est accen­tuée par le vent du large.

Néan­moins, il est tout autant fixé entre le gla­cis du marbre de la pierre tom­bale et la poro­sité de la craie des plages nor­mandes. Reste ce qui n’a pas été dit. Ce qui ne pou­vait se dire. Entre une mère et son fils les mots étaient inopé­rants. Mais après la mort de la pre­mière, des paroles deviennent marée motrice et matrice motrice des vieilles images.
Pour autant, rien de des­crip­tif — com­ment d’ailleurs décrire l’absence ? Mais les mots (et les des­sins de Géral­dine Tru­bert) res­tent des Gor­gones qui sèment moins la mort que le désir. Le poète au lieu de détour­ner le regard et de faire demi-tour devient confi­dent de ce qui s’est passé de dou­leur et de secret. Son œil est celui de l’archer qui, para­doxa­le­ment et incons­ciem­ment, vise jusqu’à l’œil de la vulve et la lance du phallus.

Il donne ainsi plus qu’une copie du vivant de la dis­pa­rue. Les mots sont forts et les traits tout autant. C’est sou­dain la res­tau­ra­tion des semences com­pa­rables à celles de la « lanx satura » des tra­vaux agri­coles. Le fils est dans les bras de sa mère, elle a en fili­grane quelque chose de la démone Volup­tas — fille d’Eros et de Psy­ché.
Elle pro­cure encore un trem­ble­ment de lueur et un brin de folie en ébauches de séquences qui font rap­pel aux plus pro­fonds sou­ve­nirs. Leur conduite for­cée est pré­sen­tée sans pathos ni emphase mais avec le poids de tout ce qui est passé dans la dou­leur et la peine. Les temps morts remontent en valses de Vienne là où demeure un «fau­teuil vide face à la mer ».

jean-paul gavard-perret

Jacques Mou­lin, L’Epine blanche, lec­ture de Michaël Gluck, des­sins de Géral­dine Tru­bet, L’Atelier contem­po­rain, Stras­bourg, 2018, 118 p. — 20,00 €.

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