Vers la fin de son texte l’auteur écrit « Le cédant à signé. Ça flue comme un saignement de nez ». Certes, après il y aura encore un petit café mais c’est là le dernier liquide d’un suintement de celle qui but les larmes de vie et de mer et de celui qui but le lait de la disparue. L’air de rien elle aimait « Aucassin et Nicolette » : qui aujourd’hui connaît encore ce fabliau ?
Entre poème en prose et vers s’inscrit le monument à la morte. Mais le temps n’a plus toute sa tête. Petit Poucet a perdu là ce qu’il était : un re-père. Il ne veut pas faire le deuil et se moque des théories de la résilience, cet humanisme de la dernière instance pour rassurer bobos et gogos. Lui, le fils, il restera derviche tourneur dont la mobilité est accentuée par le vent du large.
Néanmoins, il est tout autant fixé entre le glacis du marbre de la pierre tombale et la porosité de la craie des plages normandes. Reste ce qui n’a pas été dit. Ce qui ne pouvait se dire. Entre une mère et son fils les mots étaient inopérants. Mais après la mort de la première, des paroles deviennent marée motrice et matrice motrice des vieilles images.
Pour autant, rien de descriptif — comment d’ailleurs décrire l’absence ? Mais les mots (et les dessins de Géraldine Trubert) restent des Gorgones qui sèment moins la mort que le désir. Le poète au lieu de détourner le regard et de faire demi-tour devient confident de ce qui s’est passé de douleur et de secret. Son œil est celui de l’archer qui, paradoxalement et inconsciemment, vise jusqu’à l’œil de la vulve et la lance du phallus.
Il donne ainsi plus qu’une copie du vivant de la disparue. Les mots sont forts et les traits tout autant. C’est soudain la restauration des semences comparables à celles de la « lanx satura » des travaux agricoles. Le fils est dans les bras de sa mère, elle a en filigrane quelque chose de la démone Voluptas — fille d’Eros et de Psyché.
Elle procure encore un tremblement de lueur et un brin de folie en ébauches de séquences qui font rappel aux plus profonds souvenirs. Leur conduite forcée est présentée sans pathos ni emphase mais avec le poids de tout ce qui est passé dans la douleur et la peine. Les temps morts remontent en valses de Vienne là où demeure un «fauteuil vide face à la mer ».
jean-paul gavard-perret
Jacques Moulin, L’Epine blanche, lecture de Michaël Gluck, dessins de Géraldine Trubet, L’Atelier contemporain, Strasbourg, 2018, 118 p. — 20,00 €.