Véronique Bergen, Tous doivent être sauvés ou aucun — Rentrée 2018

L’amour des chiens

Dans un roman aussi lyrique qu’apocalyptique, Véro­nique Ber­gen se lâche comme jamais. Car il y à la une urgence. Certes, ce qu’elle écrit nous « unit vers Cythère » comme disait Lacan.
Pour autant, l’idylle est pleine d’obstacles. Elle pointe son nez vers la fin du livre (enfin presque…) mais avant il y a bien des périples. Ils montrent com­bien des mas­sacres d’hier aux contem­po­rains les issues salu­taires ne non sont pas for­cé­ment pour demain et demeurent pré­caires.
Pour le sug­gé­rer existent dans ce livre trois épis­sures : le signi­fiant et le signi­fié sont trans­cen­dés par les mou­ve­ments qui animent leur magma. Le roman en son verbe d’avalanche et de tem­pête est construit pour empor­ter vers l’autre. Le dis­cours vise impli­ci­te­ment à sa réémer­gence par révi­sion ou plu­tôt mise au net de l’histoire.

Ne se vou­lant ni ange (l’auteure sait que son sou­rire est bête) ni ani­mal, elle nous place entre les deux pos­tu­la­tions et parmi divers types de « ruines » afin de rap­pe­ler ce qui « tue ». La voix du livre ne mâche pas les mots mais les pro­fère en ité­ra­tions suc­ces­sives où des « cime­tières des chiens » aux cime­terres « des tra­vailleurs de la mort » l’histoire et son rap­pel tiennent ici en une suc­ces­sion de « fables » où se mêlent une forme d’aristocratie et le ver­na­cu­laire.
La créa­trice déroule ou plu­tôt fait écla­ter l’Histoire avec le mixage de fougues héri­tées d’un DAF de Sade (le poli­tique), de Joyce et de Patti Smith au moment où nous arri­vons à la fin d’un cycle et au sein du dan­ger que sin­gu­liè­re­ment nous sup­por­tons. Il est vrai que les nou­veaux chiens de garde nous font regar­der l’impasse avec confiance. Et les doutes étant sans effet sur le poli­tique, Véro­nique Ber­gen les pola­rise et pose de manière pul­sée les sem­blants qui cachent les plaies et les frac­tures là où cer­tain huma­nisme décom­pose les faits en n’en rete­nant que des images accep­tées par notre idéo­lo­gie fri­leuse et à l’égoïsme myope.

Animé d’un souffle rare, ce roman « à l’oreille » pos­sède une fonc­tion de hâte. Une telle syn­thèse du monde parle la conta­mi­na­tion géné­ra­li­sée au nom de ceux qui nous ont tou­jours impli­qués à leurs propres satis­fac­tions plus qu’à celles de l’Autre qui est notre même. A trop en faire défaut en esti­mant qu’il s’opposerait à nos besoins, bien des tur­bu­lences (voire pire) nous guettent. La roman­cière appelle en consé­quence à une « autre » satis­fac­tion. Elle ins­crit dans un dis­cours mani­feste une nou­velle éthique du vivant.
Manière de rap­pe­ler que la culture ne se dis­tingue pas de la société : c’est elle qui nous tient au fil de l’histoire. C’est elle qu’il convient de repen­ser car elle n’est pas posée sur nous comme une ver­mine sur notre dos. Elle nous est consub­stan­tielle. Véro­nique Ber­gen la réveille par les « termes » d’un dis­cours et en un espace qui soit doit être ramené au jour, soit périr avec et par nous.

Bref, elle écrit comme un nou­vel Aris­tote pour que nous nous inquié­tions de ce qui non seule­ment nous entoure mais que nous construi­sons ou détrui­sons. En un tel roman des chiens, la réa­lité est abor­dée autant avec les appa­reils de la ter­reur que de la jouis­sance. A nous d’en faire bon usage. Et de choi­sir la part de notre feu et de notre ins­tru­men­ta­li­sa­tion identitaire.

jean-paul gavard-perret

Véro­nique Ber­gen,  Tous doivent être sau­vés ou aucun, Onlit édi­tions, Bel­gique, 2018, 270 p. — 18,00 €.

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