Dans un roman aussi lyrique qu’apocalyptique, Véronique Bergen se lâche comme jamais. Car il y à la une urgence. Certes, ce qu’elle écrit nous « unit vers Cythère » comme disait Lacan.
Pour autant, l’idylle est pleine d’obstacles. Elle pointe son nez vers la fin du livre (enfin presque…) mais avant il y a bien des périples. Ils montrent combien des massacres d’hier aux contemporains les issues salutaires ne non sont pas forcément pour demain et demeurent précaires.
Pour le suggérer existent dans ce livre trois épissures : le signifiant et le signifié sont transcendés par les mouvements qui animent leur magma. Le roman en son verbe d’avalanche et de tempête est construit pour emporter vers l’autre. Le discours vise implicitement à sa réémergence par révision ou plutôt mise au net de l’histoire.
Ne se voulant ni ange (l’auteure sait que son sourire est bête) ni animal, elle nous place entre les deux postulations et parmi divers types de « ruines » afin de rappeler ce qui « tue ». La voix du livre ne mâche pas les mots mais les profère en itérations successives où des « cimetières des chiens » aux cimeterres « des travailleurs de la mort » l’histoire et son rappel tiennent ici en une succession de « fables » où se mêlent une forme d’aristocratie et le vernaculaire.
La créatrice déroule ou plutôt fait éclater l’Histoire avec le mixage de fougues héritées d’un DAF de Sade (le politique), de Joyce et de Patti Smith au moment où nous arrivons à la fin d’un cycle et au sein du danger que singulièrement nous supportons. Il est vrai que les nouveaux chiens de garde nous font regarder l’impasse avec confiance. Et les doutes étant sans effet sur le politique, Véronique Bergen les polarise et pose de manière pulsée les semblants qui cachent les plaies et les fractures là où certain humanisme décompose les faits en n’en retenant que des images acceptées par notre idéologie frileuse et à l’égoïsme myope.
Animé d’un souffle rare, ce roman « à l’oreille » possède une fonction de hâte. Une telle synthèse du monde parle la contamination généralisée au nom de ceux qui nous ont toujours impliqués à leurs propres satisfactions plus qu’à celles de l’Autre qui est notre même. A trop en faire défaut en estimant qu’il s’opposerait à nos besoins, bien des turbulences (voire pire) nous guettent. La romancière appelle en conséquence à une « autre » satisfaction. Elle inscrit dans un discours manifeste une nouvelle éthique du vivant.
Manière de rappeler que la culture ne se distingue pas de la société : c’est elle qui nous tient au fil de l’histoire. C’est elle qu’il convient de repenser car elle n’est pas posée sur nous comme une vermine sur notre dos. Elle nous est consubstantielle. Véronique Bergen la réveille par les « termes » d’un discours et en un espace qui soit doit être ramené au jour, soit périr avec et par nous.
Bref, elle écrit comme un nouvel Aristote pour que nous nous inquiétions de ce qui non seulement nous entoure mais que nous construisons ou détruisons. En un tel roman des chiens, la réalité est abordée autant avec les appareils de la terreur que de la jouissance. A nous d’en faire bon usage. Et de choisir la part de notre feu et de notre instrumentalisation identitaire.
jean-paul gavard-perret
Véronique Bergen, Tous doivent être sauvés ou aucun, Onlit éditions, Belgique, 2018, 270 p. — 18,00 €.