Philippe Martin est policier à Paris. Il connaît bien Barcelone où il vient régulièrement en vacances. Mais sa présence, aujourd’hui, est dictée par d’autres raisons. Emma, une jeune fille, est retrouvée morte dans sa baignoire. Dans sa lettre d’adieu elle cite son nom, le désignant comme son père. L’inspectrice Gimeno, de la police, a cru bon de le prévenir. À la morgue, il est frappé par la ressemblance avec Sylvie, son ex-compagne, partie il y a vingt-cinq ans.
Une femme lui donne rendez-vous au bar de son hôtel. Il s’agit de Sylvie. Il lui dit qu’il pensait bien la revoir car il avait reconnu son écriture dans la lettre « laissée » par Emma avant de mourir… Celle-ci lui révèle que sa fille a été assassinée et il comprend qu’elle l’a manipulé, le faisant venir pour enquêter. En rencontrant Mariona, la colocataire d’Emma, il découvre que celle-ci était une experte en art, fine connaisseuse de l’œuvre de Carles Casagemas, un proche de Picasso, qui s’est suicidé quand il avait vingt ans. En voyant une photo avec Emma et un garçon, Mariona livre le nom du petit ami, Álvaro Floch : “Le mec le plus prétentieux et le plus con du monde.“
Parallèlement, un chef de bande, tatoué des pieds à la tête, fait enlever Álvaro, ce fils d’une richissime famille car il lui doit beaucoup d’argent, des sommes perdues au jeu dans des établissements qui lui appartiennent. Celui-ci promet de rembourser car il a un plan.
Philippe rencontré la mère d’Álvaro qui lui explique dans quelles circonstances les deux jeunes gens se sont connus. Mais c’est en suivant ce dernier que le policier commence à entrevoir la vérité sans savoir qu’il lui reste à faire une route jalonnée de cadavres et gorgée de sang…
Raule articule l’essentiel de son récit autour de Carles Casagemas et de son œuvre, un grand ami de Pablo Picasso. Celui-ci s’est suicidé après avoir cru tuer Germaine Gargallo, une danseuse et un modèle dont il était follement amoureux. Picasso peindra en 1901, d’après les détails rapportés par ceux qui avaient assisté au drame, son tableau La Mort de Casagemas et il reconnaîtra plus tard que c’est le choc du suicide de son ami qui a initié sa Période bleue.
Le scénariste structure son intrigue policière avec le suicide des jeunes, un véritable fléau quel que soit le pays. Il met en scène les faussaires en art qui pullulent depuis que ce marché explose et place Barcelone comme un véritable personnage de son drame. Il en dévoile les aspects les plus brillants comme les plus noirs. Il met en scène deux trajectoires qui finissent par se croiser bien que rien ne les rattache vraiment. Il sème dans son intrigue nombre de repères très actuels comme les menées criminelles de ces bandes de maras, ces organisations mafieuses venues d’Amérique centrale, principalement du Honduras. L’action est omniprésente, une action brutale, sanglante ou la pitié n’existe pas.
Apparemment, le scénariste voue une grande admiration à Jacques Brel. Celui-ci est très présent depuis la bière préférée du chanteur, un extrait d’une de ses plus belles chansons et une petite phrase qui en dit long quand, sur la lettre posthume d’Emma, il fait écrire que son père, comme elle, est un grand admirateur du compositeur et que : “Il ne peut donc être qu’un homme bien.” Mais que dire du dessin de M. Philippe Berthet qui réussit une fois encore à donner un graphisme époustouflant dans son apparente simplicité, dans son dépouillement. Quel talent !
L’Art de mourir, par la qualité de son graphisme, la subtilité et la richesse de son intrigue, est un album qui doit figurer dans toute bédéthèque digne de ce nom.
serge perraud
Raule (scénario), Philippe Berthet (dessin), Dominique David (couleurs) & Geneviève Maubille (traduction), L’Art de mourir, Dargaud, coll. “Ligne noire”, août 2018, 64 p. – 14,99 €.