J’ai déjà à maintes reprises parlé sur ce site des livres de Charles-Eloi Vial, jeune et brillant historien et de leur grande qualité. Son dernier ouvrage, il faut le dire, est une véritable pépite et confirme qu’il joue aujourd’hui dans la cour des grands.
Le sujet ? La captivité de la famille royale française dans la sinistre prison du Temple, ce donjon effrayant dont seule Marie-Thérèse sortira vivante. On en connait certes l’histoire mais on en ignore souvent les détails et surtout la signification. Charles-Eloi Vial comble ces lacunes.
Trois points sont à mettre en exergue.
Le premier concerne le fonctionnement de la prison. Grâce à de multiples archives puisées dans plusieurs fonds et dépôts, l’auteur nous fait découvrir une véritable administration pénitentiaire, tournant sous la férule de la Commune révolutionnaire de Paris ; une ruche de gardiens et de soldats guère enthousiasmés par leur rôle, de cuisiniers, de maçons souvent impayés, etc. ; un monde clos dans lequel même les geôliers sont prisonniers et où règnent là aussi la corruption, la délation, la peur, la suspicion et bien sûr la mort.
Le deuxième nous fait entrer dans l’intimité des prisonniers. Tordant le cou à bien des légendes et sans jamais tomber dans les fausse-trappes des témoignages revisités de la Restauration, Charles-Eloi Vial décrit avec minutie le cauchemar de la famille royale. « Le prison du Temple est l’enfer » a gravé Marie-Antoinette sur un mur de sa prison. Un enfer fait de surveillances tatillonnes, d’humiliations gratuites, de vexations quotidiennes, de fouilles systématiques, d’accusations grotesques (comme celle de fabriquer de faux assignats !!), de séparations déchirantes et de mensonges.
Le troisième enfin offre une analyse très judicieuse sur le martyre de ces malheureuses et innocentes personnes. En effet, quel sens donner à cet enfermement dans la plus sinistre des prisons parisiennes, à l’exécution de Louis XVI, de la reine et de Mme Elisabeth que la loi salique aurait dû protéger de toute accusation ? du lavage de cerveau de Louis XVII qui annonce les pires pratiques des totalitarismes ? de sa mort ignominieuse et solitaire dans sa cellule à l’âge de dix ans ? des débats très sérieux qui agitèrent la Convention sur son éventuelle exécution – et celle de sa sœur – par la guillotine ?
Dans sa superbe conclusion, Charles-Eloi Vial donne la réponse ; « Avec Louis XVI, ce n’est pas seulement la Révolution « modérée » de 1789 qui fut jetée en prison, mais tous les Français qui aspiraient à la liberté avec lui. » Comme plus tard les Romanov, les Bourbons du Temple furent éliminés au nom de la table rase et du « fantasme de l’unanimité », propre à tous les systèmes totalitaires. Leur mort annonce ou fait écho aux massacres perpétrés au nom de l’humanité. Leurs corps martyrisés rejoignent ceux des autres décapités, fusillés, piétinés sous les sabots des chevaux en Vendée ou ailleurs, et jetés dans les charniers.
Les révolutionnaires auraient sans doute gagné à un exil du roi et de sa famille, en préservant leurs mains du sang royal. Mais pour cela, il aurait fallu qu’ils ne fussent pas animés d’une logique… révolutionnaire. Pourquoi expulser le souverain, sauver son fils et massacrer les enfants vendéens dans le ventre de leur mère ?
A chaque page, on se retrouve face à face avec le visage glacé de la Révolution. C’est le grand mérite de ce livre qu’il faut saluer.
frederic le moal
Charles-Eloi Vial, La famille royale au Temple. Le remords de la Révolution, 1792–1795, Perrin, août 2018, 431 p. — 25, 00 €.