Charles-Eloi Vial, La famille royale au Temple. Le remords de la Révolution, 1792–1795

Une pépite

J’ai déjà à maintes reprises parlé sur ce site des livres de Charles-Eloi Vial, jeune et brillant his­to­rien et de leur grande qua­lité. Son der­nier ouvrage, il faut le dire, est une véri­table pépite et confirme qu’il joue aujourd’hui dans la cour des grands.
Le sujet ? La cap­ti­vité de la famille royale fran­çaise dans la sinistre pri­son du Temple, ce don­jon effrayant dont seule Marie-Thérèse sor­tira vivante. On en connait certes l’histoire mais on en ignore sou­vent les détails et sur­tout la signi­fi­ca­tion. Charles-Eloi Vial comble ces lacunes.

Trois points sont à mettre en exergue.
Le pre­mier concerne le fonc­tion­ne­ment de la pri­son. Grâce à de mul­tiples archives pui­sées dans plu­sieurs fonds et dépôts, l’auteur nous fait décou­vrir une véri­table admi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire, tour­nant sous la férule de la Com­mune révo­lu­tion­naire de Paris ; une ruche de gar­diens et de sol­dats guère enthou­sias­més par leur rôle, de cui­si­niers, de maçons sou­vent impayés, etc. ; un monde clos dans lequel même les geô­liers sont pri­son­niers et où règnent là aussi la cor­rup­tion, la déla­tion, la peur, la sus­pi­cion et bien sûr la mort.

Le deuxième nous fait entrer dans l’intimité des pri­son­niers. Tor­dant le cou à bien des légendes et sans jamais tom­ber dans les fausse-trappes des témoi­gnages revi­si­tés de la Res­tau­ra­tion, Charles-Eloi Vial décrit avec minu­tie le cau­che­mar de la famille royale. « Le pri­son du Temple est l’enfer » a gravé Marie-Antoinette sur un mur de sa pri­son. Un enfer fait de sur­veillances tatillonnes, d’humiliations gra­tuites, de vexa­tions quo­ti­diennes, de fouilles sys­té­ma­tiques, d’accusations gro­tesques (comme celle de fabri­quer de faux assi­gnats !!), de sépa­ra­tions déchi­rantes et de mensonges.

Le troi­sième enfin offre une ana­lyse très judi­cieuse sur le mar­tyre de ces mal­heu­reuses et inno­centes per­sonnes. En effet, quel sens don­ner à cet enfer­me­ment dans la plus sinistre des pri­sons pari­siennes, à l’exécution de Louis XVI, de la reine et de Mme Eli­sa­beth que la loi salique aurait dû pro­té­ger de toute accu­sa­tion ? du lavage de cer­veau de Louis XVII qui annonce les pires pra­tiques des tota­li­ta­rismes ? de sa mort igno­mi­nieuse et soli­taire dans sa cel­lule à l’âge de dix ans ? des débats très sérieux qui agi­tèrent la Conven­tion sur son éven­tuelle exé­cu­tion – et celle de sa sœur – par la guillotine ?

Dans sa superbe conclu­sion, Charles-Eloi Vial donne la réponse ; « Avec Louis XVI, ce n’est pas seule­ment la Révo­lu­tion « modé­rée » de 1789 qui fut jetée en pri­son, mais tous les Fran­çais qui aspi­raient à la liberté avec lui. » Comme plus tard les Roma­nov, les Bour­bons du Temple furent éli­mi­nés au nom de la table rase et du « fan­tasme de l’unanimité », propre à tous les sys­tèmes tota­li­taires. Leur mort annonce ou fait écho aux mas­sacres per­pé­trés au nom de l’humanité. Leurs corps mar­ty­ri­sés rejoignent ceux des autres déca­pi­tés, fusillés, pié­ti­nés sous les sabots des che­vaux en Ven­dée ou ailleurs, et jetés dans les char­niers.
Les révo­lu­tion­naires auraient sans doute gagné à un exil du roi et de sa famille, en pré­ser­vant leurs mains du sang royal. Mais pour cela, il aurait fallu qu’ils ne fussent pas ani­més d’une logique… révo­lu­tion­naire. Pour­quoi expul­ser le sou­ve­rain, sau­ver son fils et mas­sa­crer les enfants ven­déens dans le ventre de leur mère ?

A chaque page, on se retrouve face à face avec le visage glacé de la Révo­lu­tion. C’est le grand mérite de ce livre qu’il faut saluer.

fre­de­ric le moal

Charles-Eloi Vial, La famille royale au Temple. Le remords de la Révo­lu­tion, 1792–1795, Per­rin, août 2018, 431 p. — 25, 00 €.

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