Le Vatican et les Allemands en 1914
Avec son étude très bien documentée qu’il publie aux éditions du Cerf, Johan Ickx, directeur des Archives historiques de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, verse une pièce capitale au dossier Pie XII. Sa grande originalité repose sur la période traitée : celle de la Première Guerre mondiale.
Les accusations de complaisance du Vatican à l’égard de l’Allemagne ne concernent pas seulement la période 1939–1945. Elles ont commencé à fleurir à l’époque de la Grande Guerre et visaient le pape Benoît XV mais aussi le brillant diplomate qui ne cessait de gravir les échelons : Mgr Pacelli, le futur Pie XII.
Déjà les journalistes, les hommes politiques, les membres du clergé reprochaient au Saint-Siège un coupable silence, expression d’une germanophilie enracinée chez des prélats désireux entre autres de maintenir le très catholique empire d’Autriche-Hongrie. De 1914 à 1939, du soutien aux Habsbourg à celui aux nazis, la route était droite et bien tracée !
Or, c’est cette thèse grotesque que remet en cause, archives vaticanes à l’appui, Johan Ickx dans son passionnant et très précis ouvrage. Son travail repose sur la question des exactions allemandes exercées en Belgique lors de l’invasion d’août 1914 et dont l’incendie de la très prestigieuse université de Louvain devint le vibrant symbole.
La question des responsabilités se posa en ces termes : les Allemands agirent-ils en représailles des actions des francs-tireurs belges ou montèrent-ils une opération d’intoxication pour procéder à une destruction destinée à terroriser la population et à briser son esprit de résistance ? Se rajoutait à cela une autre problématique : celui du silence de Benoît XV devant le « martyr » de la catholique Belgique.
Ce que démontre Johan Ickx est en fait lumineux : le Vatican fut très mal informé par la nonciature à Bruxelles tenue par Mgr Tacci-Porcelli et le diplomate Mgr Sarzana qui joua un rôle central pour convaincre Rome d’adhérer à la thèse allemande. Une contre-offensive fut menée par le recteur de l’Université de Louvain, Mgr Ladeuze qui écrivit un long et détaillé rapport pour le pape mais qui n’arriva à Rome qu’en septembre 1915, un après sa rédaction !
Mgr Pacelli, qui occupait déjà une place importante dans le système diplomatique du Saint-Siège, s’empara du dossier et entretint des liens avec ce que Johan Ickx appelle le « club des cinq ». Ce groupe était composé de cinq personnes dont Mgr Deploige, professeur à l’université de Louvain, et exerça une pression considérable pour faire évoluer la position du Vatican en faveur de la Belgique et la détacher de l’Allemagne.
Le principal intérêt du livre est de démontrer le soutien de Mgr Pacelli à cette action, sa proximité avec les Anglais, son influence dans la mise à l’écart des diplomates germanophiles.
On découvre en fait ce qu’était et ce que sera sa ligne diplomatique : « ce jeune secrétaire était pleinement acquis à la cause des Alliés – même si, comme le remarqua Mgr Deploige lui-même, il ne le laissa jamais transparaître – à condition que le sort des catholiques allemands ne soit pas entaché et que la position impartiale du Saint-Siège soit préservée. »
Bref, les archives du Vatican parlent et innocentent Pie XII.
frederic le moal
Johan Ickx, La guerre et le Vatican. Les secrets de la diplomatie du Saint-Siège (1914–1915), Paris, le Cerf, août 2018, 296 p. — 24,00 €.