Phia Ménard, Saison Sèche

Chan­ger de monde

Souvent les pièces de Phia Ménard com­mence len­te­ment, mais avec  Sai­son Sèche  tout débute par une prise de parole où, seule et devant le rideau, l’artiste éructe les pre­miers mots enten­dus trop sou­vent par les femmes : « Je te claque la chatte ». Et ces mots en rap­pellent d’autres que l’artiste ou d’autres de ses sœurs ont reçu eu égard à leur sta­tut de femme : « Avec ce rouge à lèvres, je parie que ça va accro­cher quand tu vas me sucer », « Mais quel beau bout de viande », etc.. La liste pour­rait être longue et l’artiste a col­la­tionné ce type de mots ou plu­tôt d’agressions hélas bana­li­sées qui entravent toutes rela­tions dignes de ce nom.
Sai­son sèche  révèle le refus de la domi­na­tion his­to­rique et gra­tuite de l’homme sur la femme. Les mots rap­por­tés sont là pour tres­ser un com­bat en cours et qui réson­nait déjà dans les autres pièces de la créa­trice. Ils tentent de démo­lir le patriar­cat dans ce qui com­mença avec sa per­for­mance des Contes Immo­raux — Par­tie 1 : Mai­son mère. Elle deve­nait une déesse guer­rière mytho­lo­gique et futu­riste capable de construire un nou­veau monde.

De telles œuvres décons­truisent les genres (théâtre, danse, per­for­mance) en les rem­pla­çant par un tra­vail d’indiscipline là où se crée une scène contem­po­raine tout sauf conve­nue ou atten­due. L’artiste cham­boule les codes, sort des conven­tions éta­blies et entame une révo­lu­tion qui se retrouve aussi chez des artistes aussi divers que Ange­lica Lid­dell, Maguy Marin, Jan Fabre et quelques autres qui ne cessent de fran­chir bien des « modèles » et fron­tières entre le haut et le bas et une cer­taine idée ou per­cep­tion de la « beauté ».
Le titre même de l’œuvre peut autant tirer du côté de la séche­resse vagi­nale tor­pillée par des hommes qui génèrent le manque à dési­rer chez la femme qu’afficher le refus des femmes à enfan­ter face au monde tel qu’il est des « guer­riers » et non des hommes.

Cons­truit en cinq temps (le pro­logue, la sou­mis­sion, la nais­sance, le com­bat et l’épilogue), l’œuvre avance avec ses sept inter­prètes qui se pré­sentent tout d’abord face au public, écar­tant leurs cuisses, mon­trant leurs sexes mis à nu avant qu’elles se retrouvent prises dans la boîte imma­cu­lée d’où elles vou­laient sor­tir. Le pla­fond les écrase au sol mais un élan s’amorce.
Après un retour à un état de régres­sion (sym­bo­lisé par leur dou­dou), elles se maculent le visage de pein­tures et tracent des bandes sur leurs seins comme pour effa­cer leur genre et entament une ronde infer­nale. Leurs cris résonnent et elles jouent avec leurs entre­jambes, avec le tin­te­ment de leurs boules qui vont rou­ler sur le pla­teau : les attri­buts de la mas­cu­li­nité voient leurs codes renversés.

Se pro­duit sou­dain une méta­mor­phose : les femmes prennent les cos­tumes d’un pom­pier, d’un cadre, d’un ecclé­sias­tique, etc.. Elles urinent à la manière des mâles en pre­nant soin de com­pa­rer leur attri­but avant que ne com­mence une sorte de marche mili­taire et un com­bat où ces « hommes » sont ren­voyés à un état sau­vage de dému­nis pre­miers avant l’apocalypse finale tan­dis que de la boîte une boue se répand et fait vomir.
Reste à savoir que faire alors : se lais­ser enva­hir par la puis­sance du mas­cu­lin ou en sor­tir ? L’artiste ne répond pas : elle laisse le spec­ta­teur en état de choc face à ce mani­feste là où un futur pour­rait se libé­rer des car­cans de notre temps et de l’histoire faite par et pour les mâles.

Existe impli­ci­te­ment un appel à l’action qui per­met­trait de bri­ser des tabous dans ce qui tient d’une lutte des genres pour que la vie soit au moment où machi­ne­rie théâ­trale elle-même est mise en ques­tion. Ce que beau­coup de cri­tiques (mas­cu­lins) ont semble-t-il du mal à accep­ter ou assu­mer deman­dant à l’artiste un point de vue plus élaboré…

jean-paul gavard-perret

Phia Ménard, Sai­son Sèche, créa­tion Fes­ti­val d’Avignon, juillet 2018.

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Filed under Erotisme, Théâtre

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