Chamanisme et terroir du Sud-Est…
Ce roman noir est écrit à quatre mains par deux auteurs aux univers que l’on pourrait penser éloignés. Benoît Séverac traite, dans des polars musclés, de thématiques d’actualité alors qu’Hervé Jubert aborde des problèmes cruciaux sous couvert de fantastique, d’anticipation.
Le chef Jack Marmont, ranger dans le corps des Southwestern Cattle Raisers, est également homme-médecine. Il quitte Tulsa, en Oklahoma pour venir à Laprade recevoir un don de terre, une prairie qui allait devenir un fragment de la terre osage, en commémoration du passage, en 1829, de quatre indiens qui cherchaient de l’aide auprès de l’évêque de Montauban. Ces Osages, pris dans une tempête de neige, tentent de se réfugier dans une auberge d’où ils sont vite expulsés par manque d’argent. Cependant, l’un des quatre, E Stah Sop Pe est tué à coups de tisonnier.
Raymond Manenq, le maire du village est venu l’accueillir. Sur place, au petit matin, Marmont ne ressent rien. La terre ne lui a pas parlé, le don ne peut avoir lieu. Il faut attendre un signe. Et les jours passent. Certains habitants trouvent que l’hébergement de l’Osage revient cher aux contribuables et la tension croît.
À Montpellier, Lise Genêt, une fillette de dix ans, est sujette depuis des mois à des cauchemars. Elle voit un homme à la peau sombre, au regard noir qui, inlassablement, lui demande de l’aider. Depuis quelques jours les cauchemars s’aggravent et l’homme la presse de venir à Laprade. Le psychologue, qui tente de la soigner, pense que ce voyage pourrait être bénéfique.
Lorsque Lise et Marmont se rencontrent, une espèce de transe les unit. Il lui explique qui lui parle. Mais Lise disparaît et des fouilles dans le terrain révèlent un véritable cimetière…
Les auteurs appuient leur récit sur un fait authentique. En 1827, quatre hommes et deux femmes de la tribu Osage embarquent à la Nouvelle-Orléans. Ils veulent plaider leur cause auprès du roi de France car la vente de la Louisiane par Napoléon, en 1803, les a fait passer sous tutelle américaine et cela leur déplait. Leur radeau a coulé sur le Mississipi, ils ont perdu tous leurs bagages et sont tombés entre les mains d’un escroc français. Celui-ci va les exhiber comme des phénomènes de foire jusqu’à ce qu’il soit emprisonné, les laissant totalement démunis. Ils se séparent en deux groupes, l’un partant pour Paris, l’autre pour Montauban où ils savent trouver Louis Dubourg, un prêtre qui a été chez eux, devenu entre-temps évêque.
En ajoutant un personnage supplémentaire qu’ils font disparaître, les romanciers peuvent construire une série de péripéties faisant la part belle au chamanisme, aux rituels osages et aux règles du terroir du Sud-Est de la France. Ils confortent leur intrigue avec des personnages emblématiques d’un village, toujours partagés en plusieurs clans. Ils ajoutent avec Claire Tourment, le lieutenant de police, une dimension supplémentaire, celle-ci ayant une forte personnalité et un passé, avec un père qu’elle n’évoque jamais, déplaisant.
Les auteurs brossent ainsi une galerie de portraits aux profils psychologiques approfondis, mettant en scène une large gamme de sentiments et d’émotions. Ce roman, à la trame habilement construite, est une belle réussite tant par la tension qui se dégage de l’histoire que par un ton d’authenticité qui ne trompe pas. Les romanciers ont séjourné en Oklahoma pour préparer leur livre.
serge perraud
Hervé Jubert & Benoît Séverac, Wazházhe, Éditions Le passage, coll. “Polar”, mars 2018, 320 p. — 19,00 €.