Lucy Watts : une sacrée gamine
Seule militante inscrite à la SFPHBIA (Society For Putting Back Humour Into Art, « Société pour la réintroduction de l’humour dans l’art ») qu’elle a créée, l’anglo-chambérienne Lucy Watts prouve que son humour en dépit des apparences ne possède rien de nonsensique. Il cherche à faire surgir l’absurde selon des procédures souvent des plus subtiles qu’il n’y paraît. Puisant son imaginaire dans les matériaux du réels ou plutôt de sa représentation graphique (emballages des produits alimentaires, sondages), elle le remodèle à sa main et à l’aide du médium le plus simple : le dessin. Minimaliste et en fausse désinvolture mais toujours impeccable, il retire aux informations officielles qu’il est censé reproduire leur rigidité et leur faconde arrogante.
Par le dessin les images de l’outil informatique sont mises à distance. L’artisanat et le faux « à peu près » du graphite permettent de se moquer de l’emprise des preuves visuelles et de mettre à mal le prêt-à-porter graphique de Powerpoint sans lequel toute présentation — lorsqu’on se veut décideur décisif - semble désormais impossible. Bref, Lucy Watts se moque ainsi de notre logique et de l’arrogance sous laquelle se cache un manque à réfléchir. Preuve que penser un crayon à la main mène bien plus loin que sous la couverture des machines célibataires.
Dans une série « conceptuelle » (pour faire simple) de onze camemberts statistiques – tous fondés sur la même taille des diverses portions – l’indication des couleurs (blue, red, yellow, etc…) est précédée d’un carré qui est censé représenter cette coloration. De fait, le nom de la couleur et la couleur elle-même ne correspondent pas : mais bien malin qui peut s’en rendre compte Preuve que notre perception parle — si l’on peut dire — la langue de bois.
Tout dans ce travail est du même esprit. Au rigide, Lucy Watts préfère non le mou ou le friable — comme c’est souvent le cas dans la postmodernité — mais le déphasage. Dans l’œuvre les chiffres se mettent à chanter pompette : il suffit d’un dessin pour casser toute la pompe de l’office centrale des statistiques de Tel-Aviv, ou pour se moquer d’illustres anciens (même iconoclastes — tel Warhol himself) par un effet arachides qui n’est en rien peanuts…
Une telle œuvre donne envie de relire Perec et Borgès. De réviser surtout nos erreurs à propos de ce qu’on prend pour de la représentation. Lucy Watts ouvre donc à la « re-présentation » iconoclaste. Elle devient par sa réinterprétation du monde et de l’image une poétesse au sens plein. Ses maîtres à l’ENSBA ont su d’ailleurs très vite reconnaître son originalité. Philippe Cognée et Didier Semin en tête. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir compris combien et comment une telle œuvre opte pour le fictif contre l’illusion Répétons-le : la créatrice ne confond pas vérité et apparence. Elle opte pour d’autres apparitions. Elles mettent à mal les réponses faciles et précaires et métamorphosent chaque voyeur en un ignorant lucide.
jean-paul perret-gavard
Lucy Watts,
- La campagne c’est beau mais sans les gens, 150 p. - 23,00 euros
– Statistics, 70 p. — 10,00 euros.
– Pockett Statistics, Sérigraphie, dépliable, 50,00 euros.
Commande : Lucywatts.com