A l’ombre de l’œuvre de Sénèque, Joë Bousquet et de Pascal Quignard Catherine Smits poursuit une quête poétique en toute discrétion – trop sans doute. Elle suggère pourtant des angles de vie et de vue importants. L’amour y fait son nœud vivant, tellurique et marin. Il propose un rosaire érotique dans le prieuré d’une union ou chacun devient apôtre de l’autre dans les morsures du désir. D’où des mélopées qui ressemblent à des blues insistants. Où la cérémonie des corps se fait dans ceux des jours pour lutter contre l’absence, le silence et bien sûr la mort qui se fera un jour son trou dans chacun de nous. Pour l’heure, Catherine Smits s’arrime à l’essentiel : des agencements de lumière pendant que les corps vont et se rejoignent.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le chant du coq de mon voisin, le moindre rai de lumière. J’ouvre les yeux et chaque matin, je me dis: ” Je suis encore vivante”. Rien que ce constat me fait bondir hors du lit. Encore une journée! C’est mon premier bonheur du jour.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Adultes! Je pense que je cultive ma présence enfantine au monde. J’aime beaucoup, ces mots de Peter Handke : ” Lorsque l’enfant était enfant, il a lancé un bâton contre un arbre, comme une lance. Et elle y vibre toujours”.
C’est exactement cela : l’enfance vibre toujours en moi.
A quoi avez-vous renoncé ?
A être mère.
D’où venez-vous ?
J’ai envie de reprendre le bon mot de Pierre Dac: ” Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne”. Plus sérieusement, je l’ignore. Je suis beaucoup plus préoccupée par cette question: ” Pourquoi suis-je là?”.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Je dois beaucoup à mes parents. A commencer par la vie qu’ils m’ont donnée et que j’aime tant. Ce qui me compose essentiellement (sensibilité, sobre élégance, curiosité) me vient d’eux.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un carré de chocolat. Noir.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains et artistes ?
Je ne suis ni artiste ni écrivain. Et quand bien même on me définirait comme telle, je ne pense pas en termes de différence mais de “reliance”, si chère à Edgar Morin.
Comment définiriez-vous votre approche de la poésie ?
Approche-t-on jamais la poésie? Et si c’était elle qui s’approchait de moi par ces tout petits riens insaisissables de la vie? ” Le monde est élection du poème./ quand le soleil se lève, il se lève dans le poème”. L’amour est poésie, la douleur est poésie, la jouissance, comme aptitude à savourer est poésie. Il y a dans la vie un foyer permanent de poésie. Elle nous frôle ou pas. Personnellement, je ressens ses effleurements et je tente — je dis bien ” je tente”- de les écrire. C’est une question vitale.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Mon père en train de pleurer.
Et votre première lecture ?
Grâce à ma mère, enseignante, j’ai appris à lire très tôt. Un peu avant mes 5 ans, je dévorais les ” Oui-Oui”, puis les ” Comtesse de Ségur”. Avant cela, mon enfance fut bercée de contes et de récits merveilleux. Je me souviens encore très bien des aventures de Delphine et Marinette dans les Contes du Chat Perché et du regard d’Alice au pays des Merveilles dans mon livre illustré.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Ma mère m’a initiée à l’opéra très jeune, je joue du piano. De la musique classique donc (Mozart, Fauré, Schubert), mais aussi beaucoup de chansons à texte (Ferré, Brel, Barbara, Ferrat, Beaucarne…). Tout cela en alternance avec le silence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Il ne se passe pas un jour sans que je n’ouvre, au hasard, « les Lettres de Lucilius » de Sénèque. Je relis parfois « Construction d’un château» de Robert Mishari et « Les affinités électives » de Goethe”. « Les petits traités » de Pascal Quignard aussi.
Quel film vous fait pleurer ?
Petite, le film « L’arbre de Noël » m’arrachait des sanglots. Adulte, « La liste de Schindler ».
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je ne sais pas. L’image d’une femme. Des contours. Un reflet. La plus belle école du regard sur soi, c’est celui que les autres posent sur moi. Ce qu’ils me renvoient. En bien comme en mal. Le miroir renvoie une forme. Les autres me renvoient un fond.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire?
A Philippe Sollers.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Sans aucune hésitation : Venise! Et précisément une ruelle: Corte Bollani…Du sang vénitien coule dans mes veines. Cadeau maternel.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche?
Je ne parlerais pas de proximité mais de secousses, de lectures et de regards fondateurs. Je ne peux les citer tous, ils sont nombreux. Deux parmi eux ont fait de moi la Catherine que je suis : Joe Bousquet qui m’accompagne depuis mes quinze ans et Montaigne. J’aime aussi, et sans lien entre eux : Georg Trakl, Elie Wiesel, Marie Ugray, John Fante, Primo Levi, Etty Hillesum… j’en oublie des dizaines! Je suis très imprégnée de littérature et de poésie italienne. De sculpture aussi : Isabel Miramontès, Peige Bradley… De photographies, comme celles de Dorothea Lange. Votre question est trop vaste. J’ai envie d’ajouter Claudio Parmiggiani comme artiste contemporain italien. Et Camus, et Kafka…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire?
Une lettre manuscrite plutôt que des souhaits électroniques.
Que défendez-vous ?
D’entrer dans ma bibliothèque sans frapper. La cause de la maltraitance des femmes et des enfants.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Que Lacan aurait eu besoin d’une sérieuse psychanalyse ! Plus sérieusement, que l’amour est pure énigme. Ce que je désire ou attend de l’autre m’échappe et réciproquement.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Oui ? Je précise que je n’aime pas Woody Allen. Ni l’homme ni ses films. Cette boutade me parait empreinte de suffisance, de condescendance, d’indifférence. Mon optimisme aurait pu y lire une certaine forme d’ouverture, de possible face à l’impossible, mais je n’ai pas envie de réfléchir à ce qui ne me touche pas.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Celle à laquelle je n’aurais pu répondre. Je vous remercie donc de ne pas me l’avoir posée.
Présentation et entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 25 juillet 2017.
Merci d’avoir réalisé cet entretien avec Catherine. Elle le mérite. Dommage qu’elle interdise l’entrée dans sa merveilleuse bibliothèque sans son autorisation ou présence… Les questions sont intéressantes et les réponses tout en retenue comme l’est la belle personne qu’elle assume être, heureusement.
J’oubliais. Si Catherine lit ce commentaire : je ne dirai rien à Woody…
Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il se dégage de cette entrevue une forte et attachante personnalité.
Bravo Jean-Paul et Catherine. Entretien très enrichissant tant par la pertinence des questions que la pureté des réponses. Jean-Paul, il y a 12 ans Salvatore Gucciardo m’avait fait parvenir 2 notes de lecture signées par vous et je n’ai jamais eu l’occasion de vous remercier. En ce temps là Salvatore avait espéré qu’au moins une des notes aurait pu paraître dans la revue “l’Arbre à paroles” mais : en ces temps, on ne voulait pas publier des notes de lectures concernant les membres de la Maison de la Poésie d’Amay, aussi le directeur n’en a pas voulu (Francis Chenot) Celui-ci était agacé par vos notes de lecture “trop universitaires ou je ne sais pourquoi !). Cela concernait mon livre publié en 2006 : Eblouissements d’exil. Pardonnez-moi cette sincérité, moi j’aime bien ce que vous écrivez. Meilleures amitiés.
La poésie de Catherine Smits est l’expression d’une sensibilité exacerbée . Tendue comme les cordes d’un violon , à moins que ce ne soit celle de Cupidon, son écriture , sensuelle et charnelle, vibre d’émotion et fait vibrer de même .
Paroles d’une femme qui porte en elle des traces d’enfance …
C’est une voix singulière et unique dans la poésie de langue française contemporaine .
En espérant que ces poèmes seront bientôt rassemblés en recuil
La synergie des opinions de JPGP , Jacques Viallebesset and co traduisent l’exceptionnel talent de la poétesse .
Sans vous connaître mais d’après l’entretien j’ose affirmer que vous êtes Dame Catherine Smits de haute qualité . Intelligence , bienveillance , humilité , courtoisie se conjuguent pour vous aimer .