Nathalie Piégay, Une femme invisible — Rentrée 2018

Une figure émouvante

Spécia­liste de Louis Ara­gon, Natha­lie Pié­gay était bien pla­cée pour s’intéresser aussi à sa mère, Mar­gue­rite Toucas-Massillon, dont l’histoire s’avère par­ti­cu­liè­re­ment riche en péri­pé­ties tan­tôt affli­geantes, tan­tôt sor­dides, tan­tôt tou­chantes. Issue de la bonne bour­geoi­sie – son père, Fer­nand Tou­cas, a été sous-préfet ; son frère Edmond le sera à son tour – Mar­gue­rite s’éprend de Louis Andrieux, ami de Fer­nand et pro­tec­teur d’Edmond. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle décide de gar­der l’enfant, envers et contre la morale de l’époque, résis­tant même à la pres­sion de son amant qui vou­drait la faire avor­ter.
Entre-temps, Fer­nand Tou­cas a perdu son poste (pour cor­rup­tion) et a quitté sa famille pour ouvrir des salles de jeu à Constan­ti­nople. Etant marié, Andrieux ne sau­rait recon­naître son fils illé­gi­time, le futur écri­vain. Pire encore, il prive Mar­gue­rite du sta­tut légal de mère. (Vous trou­ve­rez tous les détails et les rai­sons d’être de cette non-filiation dans le livre.) Louis Ara­gon sera donc élevé en croyant être le fils adop­tif de sa grand-mère, Claire, et donc le petit frère de Mar­gue­rite. Celle-ci ne lui révé­lera la vérité qu’en 1917, crai­gnant qu’il ne périsse à la guerre sans savoir qui sont ses vrais parents.

Natha­lie Pié­gay rend compte, de façon très sen­sible, de tout ce que la condi­tion de Mar­gue­rite pou­vait avoir de contrai­gnant et de pénible, outre le poids du secret qu’elle a dû por­ter pen­dant vingt ans : le fait d’être déclas­sée depuis la fuite du père, de devoir subir des dif­fi­cul­tés maté­rielles et des ava­nies dues au carac­tère dif­fi­ci­le­ment tolé­rable de sa mère, de n’avoir pas moyen de s’émanciper…
Mais la bio­graphe nous per­met aussi de com­prendre que mal­gré tout, l’“invisible“ a trouvé moyen de vivre pen­dant de longues années une vraie his­toire d’amour, et de finir par se trans­for­mer en femme de lettres – certes, modeste, et mépri­sée par son fils en tant qu’auteure de “romans de gare“, mais capable de vivre de sa plume.

Le récit est par­semé d’autres aper­çus de la condi­tion fémi­nine, issus des sou­ve­nirs fami­liaux ou per­son­nels de Natha­lie Pié­gay. Cet aspect auto­bio­gra­phique n’apparaît jamais comme super­flu, et contri­bue à rendre la lec­ture de l’ouvrage attachante.

agathe de lastyns

Natha­lie Pié­gay, Une femme invi­sible, Rocher, août 2018, 347 p. – 19,90 €.

1 Comment

Filed under Non classé

One Response to Nathalie Piégay, Une femme invisible — Rentrée 2018

  1. Antoine

    Heu­reux de voir qu’un livre a honoré la mémoire de la mère d’Aragon. Je suis tombé en arrêt devant sa photo. J’ai été bou­le­versé par la beauté, la pro­fon­deur, l’humanité de cette femme. Quel par­cours de vie !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>