Cayo Scheyven a trouvé en Belgique une communauté de faits et d’arts. Par-delà les différences des parcours respectifs des autres créateurs, elle a trouvé de quoi s’emparer de la perte de soi inhérente à certaines histoires pour en retrouver d’autres dans ce qui devient l’éclatement des frontières. Le monde est parfois en guenilles mais parfois fait de dentelles.
Et la créatrice rapièce tout sans forcément rester à bonne distance. Au besoin, elle sait empiéter sur certains passés pour que la vie avance. Et elle avec. Elle sort toujours de l’immobilité absolue, sait surgir, rebondir. Son corps et ses corpus photographiques n’ont donc rien de figé : s’effectuent — parfois même avec de la musique — les déplacements des déplacements.
En savoir plus :
www.carolinescheyvenphotography.com
www.vantwolips.tumblr.com
www.lelac.info
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mes rêves.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
La Réalité. Et je continue de rêver. Je n’ai jamais cessé d’être une enfant.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’aimerais pouvoir dire aux cigarettes. Je renonce rarement mais j’oublie quand ça m’arrange.
D’où venez-vous ?
D’un mix entre la « upper » et l’underground. Je suis originaire d’Utrecht en Hollande ce qui explique mon besoin de faire court et précis. Mais je me suis attardée longtemps à Londres, et les choses sont devenues plus subtiles. Pour finir (du moins pour le moment), je vis à Bruxelles où je fais partie d’un espace collectif d’art (une manière de vivre et d’être vécue) appelé « Le Lac » (www.lelac.info).
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le monde est mon huître.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Vous me faites revenir aux cigarettes ! Ma cigarette du matin et un café sous un pétale d’une fleur géante et dorée près de ma caravane. Mais seulement après, j’emmène mes filles à l’école et je peux les regarder grandir tandis qu’elles prennent toujours le même chemin. Un plaisir quotidien qui m’effraie parfois.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je n’ai jamais cherché à me comparer. Ou me distinguer par quelque voie que ce soit. Je trouve dans cette question un aspect de type trop compétitif. J’apprécie d’être entourée par d’autres artistes. Je crois vraiment à la synergie.
Comment définiriez-vous votre approche du portrait ?
Un ami m’a dit une fois que j’attrape juste l’instant d’avant.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
« The Cottingley Fairies », une série de 5 images photos prises en 1917 par deux cousines anglaises : Elsie Wright et Frances Griffiths. Elle représente une petite fille entourée par les fées. Et l’histoire de ces photographies était la suivante : si vous avez cru à ce que vous imaginez, vos pensées apparaîtraient sur l’image
Pas encore adolescente je demandais à ma mère de m’acheter plusieurs pellicules. Et j’empruntais son appareil. Et après mes tout premiers shooting je donnais à ma mère mes pellicules pour leur développement. Elle revint avec 48 prises du même coin de notre jardin. Décue je lui ai dit « j’ai vraiment cru imaginer ».
Et votre première lecture ?
« Le livre de la Jungle » de Kipling.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Depuis trop de nombreuses années et en boucle “Pale Blue Eyes” par le Velvet Underground. Le seul autographe que j’ai demandé est celui de Lou Reed.
Et récemment j’écoute quelques rares opéras. Je suis musicienne aussi et je combine ma fascination pour les arts visuels avec la musique.
Avec Matthieu Ha, un très talentueux Haut de contre, nous avons créé un pas si mauvais duo pour une performance de cinéma-opéra. Un mélange entre les opéras de chambre du XIXème siècle et le home-cinéma du XXIème siècle.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Il y en a vraiment beaucoup trop, si bien que je veux toujours les lire avant que je n’aie lu un autre même livre de nouveau…
Quel film vous fait pleurer ?
« Certains l’aime chaud »
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Cela dépend de l’heure du jour. Mais la plupart du temps je vois la croyance que tout est possible.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Mon père, et avec l’espoir qu’il ne lira pas cet interview.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ce doit être « Le Lac », un lieu destiné à devenir un mythe. J’ai rencontré des personnes parmi les plus profondes (mais aussi des superficielles). Elles me conduisent vers d’autres niveaux.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Mary Ellen Mark, Diane Arbus et Matthieu Ha, mon partenaire dans mon crime d’art.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Du chocolat, j’aime le chocolat.
Que défendez-vous ?
La Liberté et l’Amour.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Etre inconditionnel. L’aspect le plus important de l’amour.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Très vrai. Je suis rarement capable de répondre non à une question – comprise ou non.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Pensez-vous que je vous connais maintenant ?
Présentation, entretien et sa traduction de l’anglais par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 20 juillet 2018.