Toute culture se donne comme idéal de viser le Un d’une pensée qui lui serait propre et qu’elle tient comme unique. Or la pensée unique — qu’elle soit opprimée par une autre ou oppressante dans son propre territoire — paralyse l’invention.
Croyant saisir une liberté, Kirmen Uribe dans son nouveau roman engagé et patriote la fige. C’est d’ailleurs là la limite de tout ce type de littérature : le langage au lieu de permettre une circulation fait « mur » sans posséder la force nécessaire de soulever tout ce qui devrait l’être. Mais n’est pas Gabriel Garcia Marquès qui veut.
Kirmen Uribe — en dépit de son beau roman « Bilbao– New York – Bilbao » (Gallimard) — en est loin ici. Certes, ce nouveau roman identitaire voudrait pousser une histoire spécifique dans l’indécidable géographique afin de cerner un objet de résistance singulier. Mais l’Histoire — du moins et ici la Basque — crée un nouage qui tient d’un serrage trop étroit.
Même si ce livre possède des qualités intrinsèques de narration et d’émotions, il conviendrait de faire passer un peu d’air et d’erre dans ce nœud. Et quoique traversant territoires et générations demeure ici une fixation. L’Imaginaire se rabattant sur le Réel fait le jeu d’un symbolique trop marquée. Il fait en conséquence le jeu des convaincus mais laisse sur le bord de sa route tout advenir autre à et de l’existence.
Bref, le lecteur demeure perplexe. Croire mettre à plat certains nœuds de l’Histoire s’est se faire partiellement le dupé d’une partie de l’histoire. Il ne s’agit pas pour autant de refuser à l’auteur son parti-pris mais un tel récit entraîne forcément une simplification d’un nœud plus embrouillé qu’il n’y paraît. Croyant faire un trou, Kirmen Uribe laisse présent un certain coinçage dans son tressage.
jean-paul gavard-perret
Kirmen Uribe, L’heure de nous réveiller ensemble, traduit du basque par Edurne Alegria Aierdi, Le Castor Astral, 2018, 300 p. — 22,00 €.