Lézardant les certitudes, Jan Fabre revisite l’histoire des arts « classiques » et populaires. Ils trouvent là une perfection d’un genre particulier. Car leur “faux menteur” reste le farceur qui brouille les pistes et demeure un éternel garnement. Le sexe conserve la part belle. Mais la cervelle n’est pas pour autant mise de côté. Elle aussi a son tour à jouer afin que, dans un art toujours subversif, le vieux garde toute sa place — qu’il s’agisse des arts sacrés ou des arts populaires tirés du folklore belge.
A la fondation Maeght, il expose durant six mois ses sculptures en marbre et ses dessins traitant de la représentation du corps et du cerveau en tant que réceptacle des rêves et de l’imagination — sous couvert de vision où le classicisme et la perfection jouxtent des obsessions surréalistes chères à l’iconoclaste belge. Dans un livre au même titre que l’exposition, l’iconoclaste zélé rappellent les enjeux de ses apparents délires.
Ils révèlent la détresse et la tendresse mais en évitant tout pathos. Jan Fabre précise par clins d’œil comment il réveille et révèle en nous la victime et le bourreau, recueillant l’anonyme cerveau qui appartient à un pape ou au dernier des clodos. Au besoin, il ressuscite des couples sans dessus (et si peu de dessous) dans son théâtre aux fenêtres ouvertes et closes. Chaque pièce est une « guenille » à la Edwarda de Bataille. C’est aussi est une façade lacérée d’impacts, d’éoliennes et de quelques pigeons qui désarment les bâches de la mort.
Contours, juste contours. Des femmes aux yeux presque absents regardent le regardeur afin qu’ils comprennent que le monde ressemble de moins en moins à ce qu’ils croient et à ce que pour quoi ils ont vécu. Verront-ils l’aurore d’un autre ordre sans comprendre ce que révèle cet arsenal venu du froid, presque là où Tintin trinque avec Magritte dans un film de Delvaux ?
Se confronter à l’œuvre parfaitement maîtrisée, et dans cette double économie esthétique en apparence seulement antinomique, permet de percer décorum et bienséances. Le front du regardeur ne percute la cervelle qui si elle manque de plomb. Ma nation : l’imagination contient par sa mise en scène un humour ravageur d’une « pétrification » paradoxale.
Sous ou sur le marbre, des éléments perturbateurs troublent la vision de la statuaire. Infecté par le virus de la libération, le marbre et ses connotations religieuses provoquent le rire sourd et foudroyant. L’artiste tourne en dérision non seulement la religion mais la vision de l’art.
L’aspect carnavalesque et de parade trouve là une autre impertinence en apparence plus froide. Mais c’est pour mieux dévoiler ce qui peut déranger par une propension toujours présente de la provocation. Chaque projet de Jan Fabre peut donc être défini par ce que Beckett écrivait dans un de ses rares poèmes : « Déchets d’écoute, déchets de vue / C’est ici qu’on te / Recycle ».
De seuil en seuil s’entendent et s’exhibent des « paroles gelées » chères à Rabelais comme pour clouer le bec au théâtre des médias. Se montrent des images afin de passer l’art décoratif sous le voile. Surgissent des plages poreuses de secrets sous la lune d’un ciel d’abîme. Nous sommes soudain arrêtés devant la crevasse des images. De leur ventre ouvert jaillit le rire sardonique du maître de cérémonies aussi secrètes que populaires.
jean-paul gavard-perret
Jan Fabre,
– Ma nation : l’imagination, Fondation Maeght, Saint Paul de Vence, du 30 juin au 11 novembre 2018,
- Ma nation : l’imagination, Gallimard, Paris, 248 p. + 16 p. hors texte, parution le 16 août 2018 .
Après une embardée de quatre jours JPGP revient sur FB en maître incontesté d’une critique maîtrisée au plus que parfait .