Quand le verbe avance tendu vers le futur
Ce livre de « repons » est au départ une récompense accordée au deux premières lauréates du premier Prix Lettres frontière de Genève. Leur tandem va l’amble en un échange où les deux auteures évoquent leurs rapports particuliers aux lieux, objets ou auteurs. Et ce, au nom de leurs déracinements respectifs. Elles sont des enfants nés de l’exil économique et politique. La famille de l’une a quitté l’Italie du Sud pour la France, celle de l’autre la Silésie pour la Suisse.
Les deux auteures ont trouvé là une communauté de faits par-delà les différences de leurs parcours respectifs. S’emparant de la perte de soi inhérente à leur histoire, elles s’en libèrent dans ce qui devient l’éclatement des frontières. Avec le plaisir mais aussi l’angoisse que cela génère. Le background n’est jamais en guenilles. Mais les créatrices le rapiècent tout en restant à bonne distance pour ne pas être trop empiétées par leur passé. Dans les deux cas la vie va. Elle avance.
Les créatrices sortent de la stase, de l’immobilité absolue. Elles savent surgir, rebondir. Leurs corps comme leurs corpus n’ont rien de figé d’autant que la correspondance accentue encore l’effet de déplacement des déplacements. Le passé, pour elles, est bien plus qu’un mirage en dévotion, l’attente n’est pas dans le retour. Les deux femmes n’insultent pas l’avenir, elles le construisent. Le verbe avance tendu vers le futur.
Quant à l’échange, il ne crée pas un émiettement mais accentue l’étendue des connaissances et des reconnaissances. A l’impénétrabilité d’une paroi d’origine répond l’exaltation d’une béance, d’une double ouverture et la recherche du sens de la littérature.
jean-paul gavard-perret
Paola Pigani & Bettina Stepczynski, (Se) Correspondre, co-éditions Jean-Pierre Huguet et Lettres frontière, 2018, 40 p.- 5,00 €.