A travers l’énergie de sa langue poétique Gilles Bourson porte la lumière dans le désordre des êtres humains et du monde. Certes, cette énergie a besoin pour s’ériger de la « chaise de l’écrivain » : celle où s’écrivent bien des déplacements et des seuils.
Cette chaise devient « fleur carnivore ou bouteille à la mer de notre multitude » que l’auteur rappelle à travers son expérience et depuis le « puits de son corps ». Il y plonge pour revenir au monde. Remontant à son enfance, remettant le bonnet d’âne à la pensée trop discursive, l’écriture s’envole pour enrayer le trop apparent et agiter des vagues qui circulent jusque dans les rues du quotidien mais que les passants inattentifs finissent par oublier.
Face à cette distraction coupable, Bourson saute à pieds joints dans les flaques afin que leurs éclaboussures décollent les affiches où se vend une vie à crédit. Poète des abîmes, l’auteur fait jaillir des secrets : ceux de la sensualité qui fut spoliée pendant la guerre par celui qui porteur de la l’« étoile » d’infamie en resta marqué à vie.
Analysant avec précision ses souvenirs mais surtout les mots qu’il mettait dessus lorsqu’ils étaient le présent qui rouillait les possibilités d’infini, l’auteur recompose le réel mais à la manière d’un Beckett : à savoir pour dire « ce que ça dit » et ce que « ça parle ».
Le tout sans exhibition ou obséquiosité – bien au contraire même : dans le jeu risqué d’un travail d’analyse poétique. Le plaisir d’écrire est évident mais il est là pour un autre projet : l’auteur « homme des foules » et non des réseaux, donc solitaire mais libre, cherche son miel – et le nôtre – là où les mots bourdonnent de manière subtile pour de nécessaires décompositions propres à reconstruire non seulement le passé mais le présent.
jean-paul gavard-perret
Gilbert Bourson, Sur la rive où bâille le ligne porte, Z4 editions, 2018, 130 p. — 11,50 €.